Militante trans et passionnée de football amateur, Edda Wolfer Bouchareb bouscule les lignes du sport normand. À Caen, elle s’engage avec force pour une meilleure inclusion des personnes trans dans les clubs, sur les terrains, et dans les esprits. À l’occasion du Mois des Fiertés, le mois de juin, elle nous raconte son parcours, ses combats, ses victoires – et les projets qui font résonner sa voix bien au-delà du vestiaire.
Pendant longtemps, Edda a fait du sport une passion discrète, presque souterraine. Mais aujourd’hui, elle est l’une des figures les plus visibles du militantisme trans dans le football amateur en Normandie. À Caen, entre rencontres sportives et engagements associatifs, elle porte haut en couleurs une parole trop souvent tue : celle des personnes trans qui veulent simplement jouer, exister, et être respectées dans les clubs.
Pour Gayviking, elle revient sur son histoire, ses combats quotidiens et ses ambitions pour que le sport, enfin, joue collectif avec la diversité.

Gayviking : Pouvez-vous nous raconter votre parcours personnel et ce qui vous a amenée à vous engager publiquement en tant que femme trans dans le monde du sport, notamment le football amateur ?
Edda : Ce qui m’a engagée d’abord personnellement, puis publiquement, ce sont les décisions politiques et transphobes prises aux États-Unis, notamment sous la présidence de Donald Trump. Ces mesures ont ciblé en premier lieu les femmes trans dans l’éducation et le sport, des domaines où nous sommes encore très peu présentes et souvent invisibilisées. J’ai été révoltée de voir qu’on pouvait interdire à des femmes trans d’utiliser des toilettes ou de jouer dans des équipes féminines à l’université.
En tant qu’étudiante en France, je me suis demandé : ici, parle-t-on de ça ? Se positionne-t-on vraiment ? Met-on en avant les avancées en matière de droits pour les personnes trans dans le sport ? Et c’est là que j’ai décidé de m’inscrire en football, un sport que j’aime depuis longtemps, dans la catégorie féminine, là où je suis légitime en tant que femme trans.
Mais j’ai constaté un grand vide : on m’a acceptée, mais sans véritable cadre ni discussion. Alors j’ai décidé de me rendre visible, de faire bouger les lignes, d’abord à l’université, puis à l’échelle locale, régionale, et pourquoi pas nationale.
À quel moment avez-vous ressenti le besoin de rendre votre engagement plus visible, et qu’est-ce qui vous a poussée à franchir ce cap ?
Quand j’ai vu que je pouvais jouer sans trop de difficultés, mais sans réelle reconnaissance non plus. On m’acceptait… sans jamais parler de ma condition, comme si c’était secondaire. Or, ça ne l’est pas. Je suis aussi intervenue dans plusieurs lieux, j’ai observé qu’aucun dispositif n’existait pour vraiment inclure, former ou accompagner les clubs et les joueuses.

Alors j’ai décidé de le faire. Et ce silence, je l’ai transformé en parole. J’ai pris la parole dans les médias, dans des conférences, sur les réseaux, en espérant qu’un jour, une autre fille trans se dise qu’elle n’est pas seule.
Quels obstacles avez-vous rencontrés en tant que femme trans dans le milieu sportif ? Et comment avez-vous réussi à les surmonter ?
Il y en a eu. J’ai essuyé des maladresses, du silence, parfois des remarques déplacées ou des incompréhensions. Un encadrant, par exemple, a tenu des propos très violents, sans filtre, en me renvoyant à une image objectifiée de mon corps. Et ça, même dans le football féminin, où l’on croit parfois qu’il y aurait une forme de solidarité.
Mais j’ai aussi rencontré de la bienveillance, notamment auprès de mes coéquipières, d’alliées qui m’ont rassurée, encouragée. C’est ce soutien-là qui m’a permis de continuer.
Y a-t-il eu des moments particulièrement marquants ou des victoires personnelles ou collectives qui vous ont donné de l’élan dans votre militantisme ?
Oui. Le simple fait d’avoir pu intégrer un club amateur et m’entraîner comme toutes les autres, c’est déjà une victoire. La première fois qu’une coéquipière m’a dit « t’inquiète, ça va bien se passer », j’ai compris que quelque chose était en train de changer.
Mes interventions dans certains médias ou événements universitaires ont aussi été très fortes. J’ai pu faire entendre ma voix, et recevoir en retour des témoignages de personnes qui se sont senties moins seules. C’est une immense force.
Comment réagit votre entourage sportif – coéquipiers, clubs, dirigeants – à votre engagement et à cette visibilité ?
Globalement, positivement. Mais souvent, avec retenue. Beaucoup n’osent pas parler du sujet ou ne savent pas comment en parler. On m’accepte, mais on ne creuse pas. On ne forme pas les encadrants.

C’est pourquoi je suis engagée : pour qu’on sorte du simple « on tolère », et qu’on entre dans une réelle inclusion, avec des dispositifs concrets, des affichages, des formations.
Pourquoi est-il important, selon vous, que les personnes trans aient une place pleine et entière dans le sport amateur ?
Parce que c’est souvent là que tout commence. C’est dans le sport amateur que les carrières naissent, que les passions se vivent, que les jeunes se construisent.
Ne pas inclure les personnes trans dans ces espaces, c’est les condamner à l’exclusion dès le départ. Et c’est aussi perpétuer une culture du rejet. Nous avons autant notre place que les autres. C’est une question de droits humains, de justice, d’égalité.
Vous êtes active à Caen : pouvez-vous nous parler des initiatives locales que vous avez lancées ou rejointes, et de la dynamique LGBT+ dans le sport dans notre région ?
J’ai d’abord commencé à l’université, dans le cadre du SUAPS (Service Universitaire des Activités Physiques et Sportives), où j’ai tenté d’ouvrir le débat sur la place des personnes trans dans les activités sportives.

J’ai ensuite été invitée dans des radios locales, participé à des tables rondes, sollicité des médias, lancé des actions. Mais tout cela, je l’ai souvent fait seule. Et malgré les engagements affichés, peu de structures sont véritablement actives sur le terrain.
Il reste encore beaucoup à faire à Caen et en Normandie, mais je sens que ça bouge. Je veux faire partie de celles qui ouvrent la voie.
Pour ce Mois des Fiertés, vous préparez plusieurs actions : pouvez-vous nous en dire plus sur les événements ou projets que vous organisez ou auxquels vous participez ?
Je prépare une action symbolique avec mon club : planter un drapeau des fiertés à l’entrée de notre stade, et apposer des panneaux portant le nom de grandes figures LGBTQ+ dans le sport. Ce sera notre façon de dire : « on est là, on existe, et on est fier·es ».
C’est une action simple, mais forte. Et je veux qu’elle devienne un exemple pour d’autres clubs en Normandie, et pourquoi pas ailleurs.
Quel message aimeriez-vous faire passer aux jeunes personnes trans qui hésitent à s’engager dans le sport par peur du rejet ou du regard des autres ?
Je leur dirais : vous n’êtes pas seul·es. Et vous avez votre place. Même si le monde autour de vous semble hostile, même si les regards sont lourds, il y a des gens qui se battent pour vous, avec vous.

Commencez là où vous vous sentez en sécurité. Le sport doit être un espace de liberté, pas d’oppression. Et plus vous serez visibles, plus le monde changera. Vous êtes légitimes.
Et pour conclure, quelles sont vos ambitions pour les mois et années à venir ? Quels changements espérez-vous encore voir dans le monde sportif et médiatique ?
Mon ambition, c’est de continuer à jouer, à exister, à inspirer. Et un jour, pourquoi pas, intégrer un club professionnel. Montrer que c’est possible, pour moi et pour toutes les autres.
Je veux aussi que le football amateur s’ouvre vraiment, que les formations sur les questions LGBTQ+ deviennent la norme, que les personnes concernées soient interrogées, écoutées, et mises en avant.
Et dans les médias, je veux qu’on raconte nos histoires avec justesse, qu’on nous donne la parole, qu’on cesse de faire de nous des polémiques. Nous avons des choses à dire. Et je veux en être la preuve vivante.
Pour aller plus loin
Vous pouvez suivre Edda Wolfer Bouchareb sur le réseau social instagram.
Découvrez le club de football d’Edda : Toofball Club sur Caen, un club queer féministe, inclusif.