Ouvre moi ta BAL, je te dirais qui tu es !
« Je vous parle d’un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître… » (La Bohème – Charles Aznavour). Difficile d’imaginer aujourd’hui notre vie sans nos smartphones. Pourtant, bien avant que les téléphones portables fassent leur apparition dans nos poches, faire des rencontres était un peu la croix et la bannière. Celles-ci se faisaient exclusivement en bar/boites, sur les lieux de drague (pour les plus téméraires), ou… par téléphone ! Les fameux réseaux téléphoniques étaient ce qui se faisait de plus discret et pratique pour assouvir ses envies.
Le service de BAL (qui signifie Boite Aux Lettres) a connu dans les années 80/90 un succès retentissant. Il suffisait d’appeler un numéro de téléphone surtaxé à la minute qui vous attribuait un identifiant. Après une rapide présentation orale (Roger, 32 ans, musclé, militaire), vous disposiez d’un répondeur sur lequel d’autres hommes pouvaient laisser des messages. Il n’y avait pas de notifications. Il vous suffisait de consulter régulièrement votre répondeur surtaxé pour voir si vous aviez des messages. Libre à vous ensuite de contacter, le cas échéant, la personne qui semblait correspondre à vos attentes. Pas de photos, pas de texte descriptif… Finalement, le seul indice sur lequel vous pouviez fantasmer était sa voix !
Même si les déceptions lors des premières rencontres pouvaient s’enchainer… une belle voix ne cache pas forcement un Apollon, il est important de noter que de nombreux couples se sont formés grâce à ces réseaux. Cela avait aussi un avantage non négligeable : ce type de service était 100% anonyme et discret. Ce fut également une véritable manne financière pour les sociétés qui possédaient ces numéros. Trouver l’amour, ça n’a pas de prix.
Le minitel, l’exception culturelle française
Les numéros surtaxés trouvèrent une deuxième jeunesse en la personne du minitel. Cet ancêtre d’internet, qui fit les beaux jours de France Télécom (aujourd’hui Orange), ne manqua pas d’attirer les spécialistes du marché. Après tout, si les gens étaient prêts à payer pour un service de rencontres par téléphone, pourquoi ne pas leur proposer la même chose sur ce support ? Ici, point de message vocal et toujours pas de photos, mais une option assez innovante pour garder « captif » le client : le dialogue en direct.
Ainsi sont nés les fameux 36-15. Ces services télématiques étaient les premiers à proposer une interactivité directe et furent les prémices des réseaux que nous connaissons aujourd’hui. La technologie du minitel était pourtant lente et laborieuse (sans parler de son interface très austère et de son prix), mais elle répondait à une demande de plus en plus croissante. Les plus connus de tous, le 36-15 ULLA et le 36-15 JH, auront rapporté à la société AGL près de 30 millions d’euros dans les années fastes.
La révolution internet
Bien que très en avance sur son temps avec le minitel par rapport au reste du monde, la France connut un retard considérable quant au déploiement d’internet sur son territoire. La raison était simple : France Telecom n’était pas prêt à lâcher sa poule aux œufs d’or. Le minitel rapportait encore en 2007 plus de 100 millions d’euros de chiffre d’affaires. La fermeture du service ne sera prononcée qu’en 2012 par l’opérateur historique, laissant le champ libre à internet et la technologie que l’on connait aujourd’hui.
Du coté des services de rencontres, le web permet aux développeurs de créer des produits beaucoup plus complets. Il est désormais possible d’utiliser des photos et même d’assouvir ses désirs par vidéo interposée grâce à votre webcam. Ainsi, des sites comme Citegay.com, Gaypax.fr ou encore MonClubGay.com connurent des années fastes dans les années 2000. Ces sites rapportèrent plusieurs millions d’euros avant de lentement sombrer face à une petite application qui allait redistribuer les cartes au niveau mondial : GrindR.
La géolocalisation, l’option qui a changé la donne
Dès 2009, GrindR compris qu’il était fastidieux d’allumer son ordinateur pour chercher un rendez-vous. Arpenter les lieux de drague n’était pas non plus très sécurisé et réservé en général aux citadins et marcheurs nocturnes. L’avenir était donc dans le mobile et la rencontre devait tenir dans la poche où que vous soyez et peu importe le moment de la journée.
Partant de ce constat, localiser précisément et rapidement les personnes autour de vous devint une évidence. En adaptant la géolocalisation aux rencontres, GrindR fit un véritable pied de nez à tous les services existants. Ils ne s’en remettront d’ailleurs jamais. Pour enfoncer le clou, l’application est proposée gratuitement, permettant ainsi une diffusion massive. Une fois inscrit, une version payante (Grindr Xtra) vient compléter l’offre déjà très complète et propose quelques options supplémentaires.
Au final, GrindR, c’est un peu la liste des mecs chauds de votre quartier. Que vous soyez au bureau, chez tata Ginette, ou même dans votre canapé, il est possible de consulter des profils et dialoguer avec n’importe qui. Echanger des selfies n’a jamais été aussi simple. Les smartphones possédant tous un objectif photo, la manipulation est désormais instantanée. Il n’est plus nécessaire de transférer ses fichiers sur son ordinateur… Le service s’est adapté aux besoins des utilisateurs, c’est là tout le génie de cette petite application.
Les conséquences de Grindr
Outre l’évolution logique de la technologie et la valse des sociétés spécialisées dans le secteur, GrindR eu un autre impact inattendu dans le milieu gay. Malgré le téléphone rose, le minitel ou les sites de rencontres, les établissements gays n’entraient clairement pas en concurrence avec le secteur. La rencontre « réelle » avait encore de beaux jours devant elle et les lieux de drague faisaient encore le plein. Se connecter à un site demandait du temps et il était parfois plus simple de faire des rencontres « à l’ancienne » dans le bar gay du coin. Mais c’était sans compter sur l’apparition des applications de rencontres géolocalisées…
Depuis une dizaine d’années on observe un nombre de fermetures croissant des lieux gays un peu partout dans le monde. Les bars ont perdu de leur clientèle et les lieux de drague sont de moins en moins fréquentés… C’est un constat que tous les anciens ont observé. Certes, il serait facile de faire un raccourci et d’accuser GrindR de tous les maux (le contexte économique est également important). Pourtant, le lien de cause à effet est bien la. Si les bars et les boites étaient des lieux indispensables pour faire des rencontres, ils ne le sont clairement plus aujourd’hui.
Quel avenir pour le milieu gay ?
Certes, il y aura toujours du monde pour sortir et faire la fête (et éventuellement faire d’agréables connaissances), mais on n’y croise quasiment plus la clientèle de « chasseurs » habituelle de l’époque. GrindR et ses acolytes proposent un service qui convient finalement à pas mal de monde. Il n’est plus besoin de faire le premier pas surtout si vous êtes timide, plus besoin d’attendre des heures pour trouver quelqu’un, et plus besoin de sortir de chez soi. Le zapping de profils se fait en quelques mouvements de doigts sur l’écran de votre téléphone.
Dans ce contexte, difficile de dire ce qu’il adviendra des établissements encore existants. La tendance actuelle semble se porter sur une ouverture plus large de la clientèle, des lieux plus propices à l’amusement et non exclusifs. Le contact réel et la chaleur humaine sont encore, heureusement, indispensables !
La rançon du succès
En 2017, Grindr atteint les 13 millions d’utilisateurs (et engendre les millions de dollars qui vont avec). Les clones de cette application sont nombreux (Hornet, Scruff, Jack’D…) et ce type de service géolocalisé est devenu un standard. Difficile de nier l’évidence, cette révolution a bel et bien marqué de son empreinte notre petit monde. Mais pour combien de temps encore ? Les scandales qui entourent cette application sont nombreux. Les appels aux boycott de la part des associations LGBT s’accumulent face à l’utilisation des données recueillies par le service.
Nous avons déjà vu par le passé des mastodontes de la rencontre tomber de leur piédestal. Ce ne serait pas la première, ni la dernière fois !
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