Depuis novembre 2019, le Toofball Club offre un espace unique où sport, inclusivité et convivialité se rencontrent. Né de l’envie de pratiquer le football dans un cadre safe et bienveillant, ce collectif queer-féministe basé à Caen redéfinit les règles du jeu. Entre défis logistiques, solidarité locale et moments marquants, l’équipe partage avec nous son histoire, ses valeurs et ses ambitions pour l’avenir. Rencontre avec des passionné·es qui militent, jouent et rassemblent au-delà des stéréotypes.
Gayviking : Pouvez-vous nous parler de l’origine du club ? Qu’est-ce qui a inspiré sa création ?
L’équipe du Toofball est née d’une envie commune. A ce moment là c’était la coupe du monde féminine, on était pas mal à regarder les matchs à l’Aqueerium, bar associatif queer qui n’existe plus maintenant.
En parallèle, nous étions un petit groupe à être allé à la Comédie de Caen à l’occasion du passage de la pièce « Féminines ». Le théâtre avait organisé un tournoi sur le plateau. Ce soir là le groupe Facebook a été créé, peu de temps après, en novembre 2019, on a fait un premier entraînement.
Il y avait cette envie qui émergeait d’avoir cet espace, d’avoir le « droit » de faire ce sport nous aussi, « entre nous », en toute liberté ou tranquillité d’esprit. D’avoir une véritable « activité » ensemble. Le fait de pouvoir faire autre chose que d’être dans un bar par exemple, mais de partager une expérience ludique, physique, ça pouvait manquer.
Gayviking : Comment veillez-vous à créer un environnement sûr et inclusif ?
Notre communication implique le fait d’être safe, puisqu’elle indique que l’équipe est en mixité choisie femmes et personnes trans. Ce qui signifie que bien sûr ces personnes sont bienvenues et que nous sommes concerné·es, informé·es et attentif·ves à ces notions.
On a vite instauré un tour de prénoms/pronoms de chacun·es, on ne le fait pas toujours mais on essaye. Nous sommes attentif·ves aux nouveaux et nouvelles, il n’y a pas de jugement sur le niveau, tout le monde joue. On essaye de faire en sorte qu’ils et elles se sentent bien. Dès qu’une personne semble mal, a une douleur etc… on s’arrête pour checker si ça va.
Gayviking : Le club reçoit-il du soutien de la part d’autres organisations, de collectivités ou de la communauté LGBT+ pour renforcer l’inclusivité dans votre sport ?
Malheureusement nous n’avons jamais été aidé·es par la ville ou autre. Nous avions essayé de contacter le service des sports, et des Clubs (pour bénéficier de leurs installations mais rester indépendant·e·s), mais cela n’a jamais vraiment abouti. Tous les hivers, nous devons changer de jour et d’horaires d’entrainement car nous n’avons pas d’éclairage. Nous jouons dans un parc public sans tracé et sans cages, parce que c’est le lieu le plus accessible.
Récemment, l’association Queers of Caen nous a aidé à recruter de nouvelles personnes et à écrire un nouveau courrier à la ville, en s’associant avec le Football Populaire de Caen, une autre équipe informelle, mais ouverte à toutes et tous.
L’image du Calendrier 2025 de l’association Plein Temps Libre a été faite par lae joueureuse* Izypt, en lien avec le Toofball Club. Nous aurons bientôt des écharpes Toofball Club/Plein Temps Libre du plus bel effet !
*personne non-binaire, contraction de joueur et de joueuse
Gayviking : Que diriez-vous à quelqu’un qui hésite à rejoindre le Toofball Club en raison de son identité de genre ou de son orientation sexuelle ?
Nous dirions que le Toofball Club existe justement pour que les femmes, les minorités de genre et d’orientation puissent jouer avec moins de craintes concernant la peur d’être discriminé·es. L’équipe permet de jouer en se sentant à l’aise, car nous portons les valeurs d’inclusivité et d’intersectionnalité du féminisme et du milieu queer. Nous sommes concerné·es et informé·es. Cette personne a donc parfaitement sa place, même si elle n’a jamais joué, même si elle ne se sent pas « sportif·ve ».
Gayviking : Avez-vous été confronté·es à des actes de discrimination ou des obstacles et comment y faites-vous face ?
Il y a certains endroits où il est plus tendu de jouer. C’est oppressant d’être regardé·es dans un espace public où on ne se sent pas légitimes et où, de l’extérieur, on est visibles comme des femmes et des personnes qui semblent être dans un rapport au genre minoritaire.
Dans ces cas là on perd un peu le bénéfice de se sentir complètement libre de jouer, sans hyper vigilance, sans avoir peur d’être embêté·es ou pire. Une fois nous avons été agressé·es, à force d’avoir occupé un city stade. C’est dommage car ce type d’équipement est très confortable pour jouer sans moyens. Pourtant, c’est souvent exposé et si il est identifié comme l’installation d’un quartier en particulier on peut sentir que nous n’y avons pas vraiment notre place, surtout pour l’image que nous renvoyons. C’est si rare que nous sommes très « visibles ». Il n’y a pas assez de city stade dans les villes, en tous cas à Caen.
Gayviking : Comment la diversité au sein de votre équipe influence-t-elle finalement la dynamique de jeu et l’esprit d’équipe ?
Il y a beaucoup moins cette idée de « performance sportive » que dans des clubs classiques. Le fonctionnement est fluide, la notion de plaisir est importante. La transmission est plus présente, dans le rapport au corps, au soin, à la façon de jouer. Il y a un esprit plus collectif, c’est l’idée d’être ensemble, de se rassembler, qui importe. Comme il n’y a pas l’idée de compétition, donc moins d’ego, on rigole beaucoup, il y a pas mal d’auto-dérision. Il n’y a pas d’enjeu technique et donc c’est vraiment léger et un beau moment convivial, un défouloir.
Gayviking : Participez-vous à des compétitions ou tournois ouverts à d’autres équipes LGBTQIA+ ou même au grand public ?
Oui, nous avons participé deux fois à la Coupe Bernard Tapine à Paris. C’est une grosse compétition d’équipes queer / féministes, toujours en mixité choisie femmes et minorités de genre. Il y a plein de clubs et une belle ambiance. Par contre, il y a parfois un très gros niveau, mais c’est drôle car ça reste bienveillant. La première année on a fini 10e sur 24, on était assez surpris·es ! Virginie Despentes était la marraine cette année là. A ce moment là on était là seule équipe venant d’une petit ville de province, ça fait quelque chose.
Nous avons aussi fait ce qu’on appelle des « Intertoof » à deux reprises. C’est-à-dire un match (toujours en mixité choisie) mais avec des gens qui ne jouaient pas souvent ou qui n’avaient jamais joué avec nous. On avait invité du public, fait un évènement ouvert, préparé un petit bar à prix libre. Il y avait plein de monde à la première édition, on ne s’y attendait pas. C’était super joyeux.
Gayviking Quelles sont vos attentes pour l’avenir du club ? Avez-vous des projets ou des initiatives pour sensibiliser davantage sur la diversité dans le sport ?
Ce serait super de refaire un Intertoof festif cet été, en partenariat avec Queers of Caen. Ça pourrait ramener plein de gens, même juste des personnes qui voudraient regarder et passer un bon moment collectif. Des gens pourraient essayer de jouer, ou voir que le sport, finalement, quand on change de perspective, d’entourage, d’objectif, ça peut devenir super même quand on pense ne pas aimer ça.
Si on rêve un peu, on aimerait bien travailler avec la chorégraphe Katerina Andréou, qui a monté une chorégraphie avec des membres du Roller Derby Caen.
Sinon, on aurait surtout besoin de soutien du service des sports pour avoir un créneau sur un vrai terrain, qui ne soit pas trop excentré : on a constaté que ça freine beaucoup de personnes, qu’on perd du monde. Avec de la lumière en hiver car le fait de changer de créneau fait aussi perdre du monde. Ça nous semblerait juste car l’équipe répond à un vrai besoin social, de santé physique et psychique. Elle permet notamment d’ouvrir le sport à des personnes qui n’iraient pas forcément sinon. Surtout que dans la communauté ça peut être un vrai vecteur de mieux être, d’empouvoirement quand on sait les épreuves que beaucoup d’entre nous traversent.
Gayviking : Vos entraînements et matchs se déroulent exclusivement sur Caen ou bien investissez-vous d’autres lieux dans la région ?
Nous nous sommes toujours entraîné·es à Caen. Nous avons changé plusieurs fois de lieu, toujours pour des problèmes logistiques, ce qui a malheureusement parfois causé du tord à notre régularité et donc nous avons perdu des gens. On a fini par revenir dans un des premiers endroits où l’on jouait, près du centre. Depuis ça va mieux, notamment avec les nouvelles recrues suite à l’aide de Queers of Caen.
En 2023, plusieurs d’entre nous sommes allé.es faire un petit match avec des personnes queers de Rennes, à l’occasion du festival La Gouinerie.
Gayviking : Souhaitez-vous ajouter un dernier mot ?
Nous sommes toujours partant·es pour jouer avec d’autres personnes du milieu queer/féministe de Normandie, à l’occasion d’évènements par exemple. Merci pour votre article !
Pour aller plus loin
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L’équipe s’entraîne à Caen à la Haie Vigné les 1er et 3e dimanche à 15h (renseignez-vous si changement)
Ailleurs… Un article du journal Le Monde à lire (août 2022) : « Dégommeuses, Bayern de Monique, Artichaudes… Le football, cet autre terrain de combat des lesbiennes » (lien – accès abonnés)