Ce mercredi 24 octobre 2018, Romain, la trentaine, fait la connaissance de deux jeunes hommes. Ils discutent, rient, boivent et dansent ensemble durant plusieurs heures. Le courant passe si bien que Romain tente une approche. « Je les ai un peu dragués au début mais ils m’ont calmement dit qu’ils étaient hétéros, alors j’ai arrêté mon numéro de charme » nous précise d’emblée Romain. Une précision importante car cette homosexualité révélée sera le ressort sur lequel les deux individus vont petit à petit monter leur piège diabolique.
« Tarlouze, tafiole, tapette, sale pédé »
Sous prétexte d’une soirée « où il y aura des gays », les deux hommes embarquent Romain dans leur voiture. Le jeune homme subira des coups d’une violence extrême.
Romain nous racontait l’horreur : « Tarlouze, tafiole, tapette, sale pédé , ils m’insultaient sans cesse. Ça faisait comme un bruit sourd et continu. J’avais la tête baissée, j’avais l’impression de vivre un cauchemar. Cette fois, c’était moi la victime dont on parlerait le lendemain dans les journaux : un jeune homme tué à cause de son homosexualité ».
« Je suis tout petit, je ne sais pas me battre » s’excuse Romain
Le calvaire continuera toute la nuit jusqu’au petit matin où ses deux tortionnaires lui dérobent 800 euros avec sa carte bancaire. Romain réussira à échapper à ses bourreaux dans une agence bancaire.
Présenté à un médecin légiste du CHU de Rouen, le jeune homme écope de 10 jours d’interruption temporaire de travail, signe de la violence extrême de son agression.
Dix jours plus tard, les deux agresseurs seront arrêtés.
Deux ans après… Enfin le procès
C’est la Cour Criminelle de Seine-Maritime qui s’empare de cette affaire. Contrairement à la Cour d’Assise, la Cour Criminelle n’est composée que de juges professionnelles. Il n’y pas de jury populaire.
Le premier jour du procès, la Cour rappelle les faits. Dans un premier temps, un seul accusé reconnaît les violences. C’est le plus âgé. Il faudra attendre le troisième jour pour que le plus jeune reconnaisse avoir frappé Romain.
L’enjeu : l’homophobie
Durant tout le procès, l’enjeu reste l’homophobie. Au début de l’audience, les deux hommes réfutent les propos homophobes.
Pour cerner la personnalité des agresseurs, les témoignages de la famille et des amis se succèdent. De concert, ils déclarent que les accusés ne sont pas homophobes.
Comme pour sauver l’honneur, une ancienne petite amie déclare : « J’ai des amis homosexuels, ils venaient à la maison, cela ne posait pas de souci. Il n’est pas homophobe, c’est sûr ». Pourtant, dans une déposition en 2018, une autre petite amie dira qu’un des accusés considérait « la bisexualité comme contre-nature », déclaration qu’elle oubliera à l’audience.
En effet, depuis 2003 puis renforcée par la loi du 27 janvier 2017, le Code pénal prévoit l’aggravation des peines en cas d’homophobie.
Avec l’aide de leurs avocats, les accusés doivent impérativement éviter la qualification « homophobe » de leur agression. Les proches des agresseurs ont conscience du rôle à jouer. Comme ils peuvent difficilement réfuter les violences, les accusés doivent prouver qu’il n’y a rien d’homophobe dans leur geste.
Mais leur téléphone portable va les trahir…
« On va se le faire ce pédé »
Avant l’agression, les deux accusés s’envoient des textos. Dans la boîte de nuit, Romain et ses amis sont déjà dans la ligne de mire des agresseurs. Ils écrivent : « Colle-les, les lâche pas, je les braque dès qu’on bouge ces pd ». Puis « Mdr c’est prévu ma gueule » (avec deux smiley). Pour finir par : « On va se le faire ce pédé. »
Un des deux accusés justifie leurs SMS : « on dit pédé pour tout et rien. Mais il n’y a rien d’homophobe ! »
Alors, l’Avocat général insiste pour qu’il dise la vérité : « soyez courageux, c’est le moment ! ». Finalement il avoue. Il déclare que son complice a bien proféré des insultes homophobes.
De son côté, l’avocate de la victime déclare : « Je suis absolument convaincue que cette agression est homophobe. Les deux accusés s’en sont pris à Romain car il est homosexuel. Ils le pensaient faible. »
Réquisitoire
Dans son réquisitoire, l’Avocat général parle d’un « traquenard« , d’une « violence inouïe » sur la personne de Romain. Il précise : « le caractère homophobe de l’agression doit être retenu même si ce n’était pas son intention première ». Pour le Ministère Public, la reconnaissance des insultes homophobes suffissent à reconnaître cette circonstance aggravante.
Et pourtant les peines réclamées sont relativement faibles. Pour le meneur, le plus âgé, une peine de sept ans est demandée dont deux ans avec sursis accompagné d’une obligation de soin pour alcool et stupéfiant. Concernant le suiveur, le plus jeune, l’Avocat général réclame quatre ans de prison dont deux avec sursis.
Le verdict
Les juges se retirent. Quelques heures plus tard, le verdict tombe. La Cour Criminelle va finalement au-delà des réquisitions de l’avocat général.
La justice condamne le meneur âgé de 32 ans à 6 ans de prison ferme. Concernant le suiveur, le plus jeune de 29 ans, la Cour Criminelle le condamne à 4 ans de prison dont 3 ans fermes. Les juges reconnaissent les propos homophobes portés à la victime. Par ailleurs, les deux hommes devront l’indemniser à hauteur de 12 500 euros.
Avec de tels faits, ils risquaient quinze ans de prison.
Selon leurs avocats, les deux agresseurs ne souhaitent pas faire appel de la décision. Leur condamnation sera donc définitive.
Excuses et soulagement
Pendant le procès, les agresseurs exprimeront des regrets. Ils s’excusent auprès de leur victime.
Aujourd’hui Romain se dit « soulagé, sans vengeance, ni haine« . Toutefois les séquelles resteront. À l’audience, le psychologue qui a suivi Romain pendant huit mois, relève son état de choc après l’agression.
Solidarité
À la suite de cette agression, le 3 novembre 2018, une manifestation contre l’homophobie était organisée à Rouen. 800 personnes étaient venues apporter leur soutien à Romain et à la lutte contre les LGBTphobies.
En 2019, les forces de police et de gendarmerie « ont recensé 1 870 victimes d’infractions à caractère homophobe ou transphobe, contre 1 380 en 2018 », soit une « augmentation de 36% du nombre de victimes d’actes anti-LGBT » selon le Ministère de l’Intérieur.
Enfin, le rapport annuel 2020 de l’association Sos homophobe fait état de 2396 témoignages d’actes contre les personnes LGBT et 237 agressions physiques.
Le combat contre l’homophobie est encore long.
* Le prénom modifié
Récit à la Cour Criminelle de Rouen notamment via les Live twitter Margot Nicodème, Manon Loubet, Elise Kergal.