Lisez cet article avec la musique qui l’accompagne…
Clubs gay et radios libres
Quant aux clubs gay, ils vont faire évoluer le disco vers la house music, sans ce soucier des maisons de disques qui voudront presser le citron du disco jusqu’à la dernière goutte.
Les nouvelles radios libres qui se développent dans le pays auront aussi assez d’indépendance vis-à-vis des maisons de disques pour passer de la dance music plus pointue. D’ailleurs les gays seront très nombreux à la tête de ces nouvelles radios libres, qui vont diffuser des émissions en direction de cette communauté quand elles ne seront pas 100 % gay comme « Fréquence Gaie » à Paris. Ces radios et ces émissions très gay friendly ouvriront leurs micros aux DJ et aux discothèques pour des sets en direct. Mais, comme Fréquence Gaie à l’époque, elles diffuseront aussi d’autres artistes comme la Callas ou Jean Guidoni qu’on n’entendra jamais sur les antennes officielles.
Les artistes français
La génération d’avant
Dalida, avec « Laissez moi danser » va s’entourer de danseurs body buildés et au look très gay inspiré des Village People. Elle continuera à avoir un certain succès auprès d’un public gay vieillissant mais la nouvelle génération sera plus difficile à séduire. Elle mettra fin à ses jours en 1987, mais son étoile ne cessera jamais de briller dans le cœur de toute une génération.
D’autres artistes consacrés vont aussi tenter de s’accrocher au train du disco pour rajeunir leur public et montrer qu’ils sont toujours dans le coup et gay friendly… avec des succès très divers.
Quant aux autres artistes vieillissants de la variété française, par charité pour eux, mieux vaut ne pas évoquer leurs tentatives pathétiques de se repeindre en stars du disco.
La nouvelle génération
C’est du côté de la nouvelle génération que certains chanteurs de variété vont aborder l’homosexualité à travers des chansons qui n’essaient pas de s’accrocher à la mode disco.
Le groupe Taxi Girl lance en 1980 « Chercher le garçon ». Cette même année, Francis Lalanne chante « la plus belle fois qu’on m’a dit je je t’aime (c’était un mec qui me la dit) », véritable hymne à la tolérance et à l’ouverture d’esprit.
De nouveaux chanteurs homos vont aussi faire leur place sur la scène française. Si leur public restera assez large et populaire et plutôt féminin, il n’hésiteront pas non plus à intercaler quelques chansons à destination du public gay dans leur répertoire.
Juvet, Dave, Vilard…
Le suisse Patrick Juvet va, lui, abandonner le disco après ses deux succès « Où sont les femmes » et « I love America » pour évoquer l’homosexualité dans « Les Rêves immoraux » en 1982. Si la chanson évoque « la grâce de deux garçons qui s’enlacent », probablement dans un rêve immoral du chanteur, c’est une femme qui le fait tomber des nues et entreprend de lui faire « subir des sévices qu’il va boire avec délice »… L’homosexualité des chanteurs français de l’époque trouve toujours une justification dans la bisexualité.
Dave, le chanteur hollandais qui s’exprime en français pour un public de « minettes » avait abordé l’amour homosexuel dans une chanson dès 1970 « Copain, Ami, Amour », mais son répertoire est tourné désormais vers les amours hétérosexuelles même si le chanteur est assez transparent sur sa vie privée et sa relation avec son parolier Patrick Loiseau dont il partage la vie depuis 1971.
Autre « chanteur à minettes », Hervé Vilard abordera aussi l’homosexualité à demi-mots dans « le Lac des brumes » (1983). Cette belle chanson sensible restera assez confidentielle.
Assumer pleinement…
En revanche, certains artistes gay vont faire de l’homosexualité leur marque de fabrique. C’est en 1980 que Jean Guidoni assume ouvertement son homosexualité en public et en chanson. Même si ses chansons ne transpirent pas la joie de vivre et sont à l’antipode de la mode disco, il va avoir les faveurs d’un public gay, plutôt intellectuel et sensible à son personnage tourmenté. « Je marche dans les villes » en 1980 évoque la drague gay dans les ports, les chantiers et terrains vagues.
La musique des clubs gay
Dans la continuité de la fin des années 70, la house music va faire danser les clubbers gay. Le Palace à Paris va inaugurer ses « Gay Tea Dance » en juillet 1980. Ce rendez-vous festif va rassembler chaque dimanche 2000 garçons sur le dance floor de cet ancien théâtre. Grace Jones, avec « I’ve seen that face before » (1981) va continuer à fréquenter le lieu et les fêtes vont se succéder avec quelques moments inoubliables comme le chanteur Prince sur la scène du Palace en slip de cuir noir, talons et porte-jarretelles.
Les chanteuses noires américaines continuent à faire danser les gays : Diana Ross avec « I’m coming out » (1980). Geraldine Hunt avec « Can’t fake the feeling » (1980), Carol Jiani avec « Hit’ n Run Lower » (1981), The Wheather Girls et « It’s raining men » (1982), Tracy Weber avec « Sure Shot » (1981), Gloria Gaynor avec le mythique « I am what I am » (1983)… Seule chanteuse non noire, la canadienne France Joli connaitra aussi un immense succès avec son titre « Gonna Get over You » (1981).
La fête ne sera jamais plus plus la même…
Klaus Nomi en 1981 se produira au Palace dans une prestation inoubliable avec sa chanson « The Cold Song ». Mais ce chanteur allemand fantasque sera une des premières victimes du sida dans le milieu du show business en 1983. Dès lors l’épidémie se propage dans le milieu gay et la méconnaissance des modes de transmission génère très vite une psychose qui va vider les boites gay dont le Palace.
La renaissance des groupes anglais
Si la pop-rock anglaise avait marqué le pas avec l’émergence du disco qui venait de France, d’Allemagne, d’Italie ou des Etats-Unis, à partir des années 80 de nouveaux groupes vont émerger avec un rock renouvelé imprégnés des nouveaux sons issus du disco. Et les stars anglaises établies vont aussi marquer un tournant, souvent de courte durée car leur public traditionnel « très rock » ne va pas du tout approuver cette évolution. C’est aussi la naissance de nouveaux mouvements musicaux comme la new wave ou le mouvement punk.
L’évolution des rockers
Des chanteurs comme David Bowie avaient été des précurseurs avec le glam rock. Il va sortir en 1983 un morceau dont le rythme est très « disco » : « Let’s Dance » qui sera repris dans toutes les boites gay d’Europe.
Même des chanteurs identifiés rock et straight comme Rod Steward, vont multiplier les clins d’œil en direction du public homo. La chanson « The Killing of Georgie » évoquera le véritable meurtre d’un ami homosexuel de Rod Stewart à New-York. Et la très disco « Da ya Thing I’m Sexy » va l’éloigner pour longtemps de son public rock mais faire le bonheur des dance floor gay.
Les groupes gay
Enfin, ce qui va marquer la nouvelle génération anglaise, ce sont des groupes ouvertement homosexuels et décomplexés qui vont séduire les jeunes anglais avant de s’imposer dans le reste de l’Europe.
Le groupe Wham, dont le leader, s’appelle Georges Michael, se crée en 1981. Son logo arbore l’arc-en-ciel, nouveau signe de reconnaissance des gays et le groupe ne cache pas sa sensibilité homo. Georges Michael sera plus tard un des artistes gay les plus populaires.
L’homosexualité au grand jour
1981 voit naître également le groupe Pet Shop Boys. Ce groupe va évoluer du disco à la house pour s’imposer dans une musique plus techno. Il reflète parfaitement l’évolution musicale des clubs gay des années 80. Le groupe va vendre près de 50 millions d’albums à travers le monde. L’homosexualité est abordée dans la majorité de leurs chansons et apparaît au grand jour dans leurs clips.
Les stars d’un jour ou d’un titre
Quelques titres vont devenir au début des années 80 de véritables hymnes gay dans les boites londoniennes mais leurs auteurs seront souvent ceux d’un seul succès ou d’une carrière brève.
« Tainted Love » (1981) du groupe Soft Cell va marquer le véritable début de la musique électronique dans les boites gay anglaises puis européennes. Le synthé va devenir l’outil incontournable qui va marquer la new wave et la différencier de la pop-rock traditionnelle, mais il va aussi enrichir les sons de la house music et la conduire vers toutes les déclinaison actuelles de la musique électronique.
Le groupe éphémère Eye to Eye va produire en 1980 le titre « Am I Normal ? » question que se posaient de moins en moins les homosexuels de l’époque. Ce morceau va être un véritable hymne des boites gay londoniennes mais aussi de quelques clubs branchés français. Il va être repris par d’autres artistes comme Virginia David (1983) et va aussi s’électroniser au fil des nouvelles versions.
La Grande Bretagne sera donc très féconde en matière d’artistes gay dans les années 80 : Elton John, Andy Bell (Erasure), Freddy Mercury (Queen), Jimmy Sommerville (Bronsky Beat et The Communards), Boy Georges (Culture Club), Marc Almond (Soft Cell), etc…
Films et musiques de films
Six films, très différents les uns des autres, vont aborder le sujet de l’homosexualité entre 1980 et 1983. Deux d’entre eux vont également se démarquer par leur bande sonore qui va apporter une dimension supplémentaire aux films mais aussi connaître un succès parallèle.
Une bande son reprise dans les boîtes gay
Contrairement aux boites gay festives et glamour qui passaient du disco et de la happy-music, les boîtes « cuir » New-Yorkaises passaient un rock très particulier, cru, minimaliste et sombre. La bande sonore signée Willy de Ville, Rough Trade, Cripples, John Hiatt… va être reprise dans les boites gay SM et les backrooms dans de nombreuses capitales occidentales et même faire émerger un genre musical lié à ce milieu SM cuir des années 80 proche de l’univers de Genet et Fassbinder ou des dessins de Tom of Finland.
Le deuxième film n’est pas un film sur l’homosexualité, et pourtant il a provoqué un trouble agréable dans la communauté gay de l’époque et sa somptueuse bande sonore n’y est pas étrangère.
Furyo se passe en 1942 dans un camp de prisonniers anglais gardé par les japonais en pleine jungle. Ce film oppose deux cultures mais surtout deux hommes, l’officier anglais joué par un David Bowie plus troublant que jamais et un officier japonais interprété par Ryuichi Sakamoto au regard noir et perçant. Le film traite de la soumission mais aussi de la rébellion et du rapport très ambigu entre les deux hommes que tout oppose mais qu’un sentiment trouble et inavouable semble lier. Ce film est donc bercé par « Merry Christmas! Merry Christmas, Mr Lawrence” musique de Ryuichi Sakamoto (1983).
Un lien avec le monde gay
Toujours en 1982 sort Victor Victoria, film anglo-américain qui se déroule dans le gay Paris des années 30. Ce film, qui deviendra bien plus tard une comédie musicale, nous plonge dans l’ambiance des cabarets de travestis. Sa B.O. (Gay Paree) sera allègrement utilisée pour de nombreux spectacles de travestis à Paris comme en province, car si Paris dispose de plusieurs cabarets de travestis dans les années 80, les grandes villes de région ne sont pas en reste et les boîtes gay ont souvent une troupe qui anime les spectacles du week-end.
Le cinquième film deviendra un grand classique du cinéma LGBT français. L’Homme Blessé de Patrice Chéreau explore le milieu de la prostitution masculine à Paris. Malgré une reprise du talentueux jazzman Albert Ayler, la bande sonore ne laissera pas un souvenir impérissable.
Enfin le film britannique “Another Country”, avec Rupert Everett, se passe dans les années 30 et nous transporte dans un collège privé où l’homosexualité est omniprésente dans l’éducation anglaise mais reste taboue. Le film lancera la carrière de Ruppert Everett, mais son coming out le cantonnera toute sa vie a jouer principalement des rôles d’homosexuels. Quant à la très belle musique de Michael Storey, si son écoute évoque immédiatement le film, elle n’aura pas l’occasion de rentrer dans les charts ni même de devenir une musique culte du public homo.
Trois années charnières
Ces trois premières années de la décennie 80 vont être la charnière entre l’explosion gay de la fin des 70’s et la nouvelle période de glaciation liée au Sida qui va fragiliser les nouveaux droits et le nouveau statut des homosexuels dont les détracteurs en feront les boucs émissaires de l’épidémie. Mais malgré les périodes sombres qui s’annoncent, le milieu de la nuit homosexuel va résister et la dance music des clubs gay va continuer à se diversifier et à envahir la planète. Si la période de la fin des années 80 va être un peu moins festive et débridée, elle va néanmoins être émancipatrice pour les artistes gay et au delà de la musique, toucher tous les arts, de la haute couture à la peinture, du cinéma à la littérature. Ce sera l’objet d’un prochain volet.
Notre série La Culture Gay en Musique…
Les années 1930-1950
Période 1950-1960
Précédemment 1970-1975
1976-1979, les années disco