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LES ORIGINAUX – Pour illustrer cette période 1976-1979, voici une sélection de 13 titres cultes présentés dans un premier mix dans leur version originale des années 70.
LES MIX – Dans un deuxième mix ces mêmes 13 titres sont proposés dans des versions remixées avec le son des années 2020. Toujours aussi festifs, toujours aussi dansants et toujours aussi gay !
1976-1979 : Les 4 années qui ont pulvérisé des siècles de préjugés homophobes
En l’espace de 4 années, de 1976 à 1979, l’expression gay ne va plus se contenter de quelques chansons et airs communautaires. Elle va véritablement inventer un style de musique qui va s’imposer. Dans un premier temps, dans les clubs gay et nul part ailleurs, c’est le disco.
Les clubs gay sont les maîtres du jeu
Si le disco plonge ses racines dans la funky music noire américaine et les rythmes latino ce sont les DJ’s des clubs gay qui vont désormais être les maîtres du jeu en le mixant. En utilisant les samples de musique électronique, ils vont les marier avec les voix chaudes des chanteuses ou chanteurs noirs américains, la batterie et les cuivres, autour de mélodies simples mais efficaces.
Du disco à la house music
En une décennie, le disco va envahir la planète, s’affiner, se sophistiquer, s’électroniser, se diversifier et devenir une vraie alternative au quasi monopole de la pop-rock qui marquait la génération des années 60.
D’ailleurs les amateurs de rock l’ont accueilli d’un air méprisant et condescendant en le considérant comme de la « variétoch » pour petits minets et petites minettes superficiels et sans culture musicale, voire pour de la musique de tapettes.
Le disco à l’origine des courants musicaux
Si la superficialité était bien revendiquée, il n’en demeurait pas moins que cette musique avait une véritable histoire, une assise sociale solide, et qu’elle va être à l’origine de tous les courants musicaux des quatre (peut-être cinq) décennies qui suivront. Le disco va engendrer la house, la dance, la techno, et leur nombreux dérivés : garage, deep-house, drum and bass, ainsi que toutes les nombreuses déclinaisons de la musique électronique.
Appelez-moi « gay »
Si les Etats-Unis revendiquent la naissance du disco dans les clubs gay de New-York et de San Francisco, on peut dire qu’il est apparu spontanément, et à la même période, dans d’autres capitales du monde, dont Paris avec un message simple : la fête, la danse, le sexe, le strass, les paillettes, le rythme, la joie de vivre et… le poppers. Autant de perpectives qui ne pouvaient que plaire aux homos des années 70 qui préféraient dorénavant qu’on les appelle des « gays ».
On ne peut pas nier que le disco puise ses racines dans la funk et la soul noires américaines qui lui donneront sa base rythmique. Mais c’est une nouvelle génération de musiciens, d’interprètes et de Dj’s qui vont lui donner toute sa consistance, tout son relief et sa couleur. Et l’apport des synthétiseurs électroniques à partir de 1976 va marquer la frontière entre la soul des quartiers noirs américains et la naissance de la musique électronique dont le disco fut un des premiers vecteurs.
Les nouvelles égéries gay
Derrière les artistes qui vont interpréter les grands tubes disco des années 70, il y a quelques musiciens, arrangeurs et dj’s européens, rarement anglais, mais plutôt allemands, italiens et français.
Donna Summer
C’est à Munich, où il vit, que l’italien Gorgio Moroder va rencontrer la chanteuse Donna Summer et lui écrire ses premiers tubes mythiques : « Love to love you baby » (1975) et « I feel love » (1977) qui vont d’abord connaître le succès en France et en Allemagne avant d’enflammer tout les clubs gay du monde entier.
En quelques années Donna Summer va devenir la nouvelle égérie gay internationale. Là encore, les grandes maisons de disques sont absentes ou elles délèguent de petits labels.
En 1980, le label de Donna Summer est « Geffen Records » créée cette année et dirigé par David Geffen, homosexuel militant qui a compris que ce phénomène musical était la clef de sortie du placard des gays.
Toute sa carrière, Donna Summer la doit aux clubbers gay jusqu’à une maladresse en 1983 lorsque, sous l’emprise d’idées religieuses conservatrices, elle déclarera que le Sida est une punition divine lancée contre les homosexuels… Du jour au lendemain, elle ne sera plus diffusée dans les clubs gay. Ses fans casseront ses disques et malgré de nombreux démentis, sa carrière s’arrêtera nette.
La relève
Mais d’autres chanteuses noires américaines ont déjà pris le relai et remplacent Donna Summer dans le cœur des gays, comme Cheryl Lynn avec son « Got to the Real » (1978), Chaka Khan et son « I’m Every women » (1978) qui fera le miel de tous les spectacles de travestis du monde, A Taste of Honey et leur « Boogie Oogie » (1978).
Evelyn Champagne King, dont le nom évoque déjà la fête, va faire danser les dance floor avec de nombreux tubes comme « I’m in Love », « Love Come Down » , « If You Want My Lovin » ou « Shame » (1978).
Diana Ross
Diana Ross, autre déesse du clubbing gay des années 70, avec son tube « Love Hangover » (1976) sera en sérieuse concurrence avec Thelma Houston et son « Don’t Leave me this way » (1976). Elle reviendra souvent sur le devant de la scène à travers divers interprètes comme le groupe « Les Communards » qui le consacrera comme hymne gay dix ans plus tard, en 1986.
Gloria Gaynor
Evidemment la liste des chanteuses noires égéries gay ne serait pas complète sans Gloria Gaynor qui interprète dès 1978 le célèbre « I will suvive » (Je survivrai). Cette chanson prendra tout son sens avec l’apparition de l’épidémie du Sida au début des années 80, avant d’être récupérée 20 ans plus tard par les supporters de l’équipe de France de foot lors de la coupe du monde 1998.
Une preuve de plus que les homosexuels de cette époque inventaient les modes, créaient les tubes qui seraient repris par le grand public des années, voire des décennies plus tard.
De la virilité à l’ambiguïté
On ne peut pas évoquer cette époque magique de 4 ans sans parler du groupe noir américain Chic dirigé par le talentueux Neil Rodgers et ses nombreux tubes disco dont « Everybody dance » (1977).
Autre chanteur noir, Barry White, qui n’a rien d’homosexuel, mais dont la voix à elle seule met la testostérone en ébullition, va chauffer les dancefloors gay de ses slows langoureux mais rythmés comme des pulsions animales : « It’s extasy when you lay down next to me » (1977).
Divine, première Drag Queen
Mais si les gays aiment les chanteuses très féminines et les chanteurs noirs américains très virils, ils vont aussi faire émerger des êtres plus ambigus au sexe moins déterminé comme Divine, travesti américain qui va être la première drag queen avant que la mode ne soit inventée 20 ans plus tard.
Ami de Divine, Sylvester, androgyne noir et maquillé, va être un porte drapeau de la communauté gay avec des chansons qui abordent l’homosexualité et son tube « You make me feel » (1977).
Le grand public découvrira son homosexualité lors de son décès du Sida dans les années 90, maladie qui mettra fin prématurément à la carrière de beaucoup de chanteurs gay de cette époque comme Sylvester, Klaus Nomi, Freddie Mercury ou Patrick Cowley un des pères de la musique disco américaine qui sera le premier (1982) d’une longue liste.
Emergence de la « French Touch »
Mais la France va être aussi très présente sur cette nouvelle scène.
Les clubs branchés et gay de la rue Sainte-Anne à Paris (le Sept et le Colony) vont résonner sous le rythme de Cerrone, un batteur, qui va être propulsé grâce à quelques titres, dont « Love in C Minor » (1976) le célèbre « Supernature » (1977) ou « Standing in the Rain » (1978) interprété par son complice, musicien et arrangeur Don Ray.
Cerrone, l’ambassadeur du disco
La notoriété de Cerrone va toucher les Etats-Unis et il sera un habitué du célèbre Studio 54 de New-York, la plus grosse boite gay du monde. Il remportera aux Etat-Unis un Grammy Award et son nom restera à jamais lié à la musique disco.
Quant à Don Ray, décédé en mars 2019, il sera à l’origine de nombreux arrangements de tubes à travers la planète dont beaucoup de tubes gay friendly (« Alexandrie, Alexandra » de Claude François, « Don’t let me be Misunderstood » de Santa Esmeralda, etc).
C’est aussi durant ces 4 années magiques de la fin des années 70 qu’un producteur français, Henri Belolo et un auteur compositeur français, Jacques Morali, vont faire fortune aux Etats-Unis grâce aux boites gay de New-York, San Francisco et de Key West.
Village People
Ils lancent le groupe Village People en 1977, en référence au quartier gay new-yorkais du Village. Ce groupe présente tous les clichés des gays new-yorkais de l’époque : l’indien musclé, l’homme bardé de cuir à la Tom of Finland, le cowboy viril, l’ouvrier de chantier…
Mais les clichés gay destinés à un large public vont amuser très brièvement les DJ’s gay qui rechercheront une musique un peu plus élaborée. Village People disparaitra très vite des platines des clubs gay pour amuser les touristes du Club Med ou du camping des flots bleus.
Le disco commercial
Les maisons de disques qui ont compris, après coup, que cette vague ne s’éteindra plus, vont lancer un disco commercial destiné à toucher le grand public mais de piètre qualité avec des groupes totalement artificiels comme Boney M, groupe de danseurs au look ridicule et à la chorégraphie vulgaire qui chante en play-back, et pour cause, les voix sont enregistrées par d’autres en studio.
Ces groupes de variété vont se multiplier, vendre beaucoup de disques, passer en radio et en télé, mais dénaturer cette musique. Malheureusement, 40 ans plus tard, ils symboliseront souvent les années disco dans les soirées kitch, pattes d’eph, sous-pull orange arrosé de Brut for Men ou de Patchouli.
Le Temple du Disco : Le Palace à Paris
Si New-York a son « Studio 54 », Paris va avoir son « Palace » à partir de 1978.
Grace Jones
Mannequin noir au look androgyne, Grace Jones va assurer le show d’inauguration avec une reprise totalement revisitée de la chanson de Piaf « La Vie en rose » (1978).
Amanda Lear, la reine du disco et Patrick Juvet
Mais le Palace va être aussi le terrain de jeu d’une autre vedette féminine à la voix grave et dont on dira qu’elle était née garçon : Amanda Lear. En 1978 le tube « Follow me » va avoir un succès dans l’Europe entière et la classer comme la reine du disco.
Dans le genre androgyne, on ne peut pas non plus occulter le Suisse Patrick Juvet qui va surfer sur cette vague disco avec des titres cultes des boites gay comme « Où sont les femmes » (1977) et « I love America » (1978).
Les Gay Tea Dance du dimanche après-midi au Palace vont vibrer au son de cette musique disco qui va évoluer peu à peu vers la House Music avec la naissance des années 80.
La première toile mondiale
A cette époque l’internet n’existe pas encore mais pour la première fois, il ne faut que quelques jours pour que les tubes fassent le tour du monde et même les petites villes de province, pour peu qu’elles possèdent une discothèque gay, donc un DJ branché, ne vont pas être en reste.
Quelques disquaires indépendants, non liés aux maisons de disques et spécialisés dans les imports vont ouvrir dans les grandes capitales occidentales et fournir les DJ’s locaux en musiques du monde entier.
Le disco indépendant et démocratique
Ce sera, à Paris le cas de « Champs Disques » dans la « Galerie des Champs » sur les Champs Elysées où se trouvait aussi « Lido Music ».
Mais presque toutes les capitales et grandes villes européennes auront des disquaires équivalents qui tisseront une toile mondiale avant l’invention du net.
Ces disquaires, feront venir les imports par avion de New-York, San Francisco, Londres, Munich ou Rome avant de fournir les discothèques où le disque sera d’abord sélectionné par le DJ puis ce sont les clubbers qui décideront s’ils aiment ou non.
Pour qu’un disque ou un artiste passe à la postérité, il faudra qu’il soit adoubé par les clubbers du monde entier… beaucoup ne franchiront jamais les étapes de cette sélection démocratique, mais pour la première fois ce ne seront pas les maisons de disques ou les programmateurs radio (payés indirectement par les maisons de disques) qui décideront de ce qui doit être un succès ou non.
La « culture gay » devient un phénomène de mode
Ce qui faisait leur caractéristique à tous ces artistes et hits disco des années 70, c’est que les médias de l’époque (télévision et radio) les ignoraient totalement : les morceaux étaient trop longs pour être diffusés en radio et le monde de la nuit gay n’intéressait pas les grandes maisons de disques mais plutôt les petits labels indépendants qui n’avaient pas accès aux médias.
Disco, une musique festive et libératrice
La seule chose qui importait c’était l’esprit festif, l’ouverture d’esprit qui permettait à des gens de toutes les couleurs de peau et de toutes les orientations sexuelles de se retrouver sur la même piste de danse.
Finis les messages politiques et subversifs du rock, finies les chansons à texte, la voix ne devenait qu’un instrument de musique et les paroles n’avaient plus aucun intérêt. Ce qui importait c’était de générer du plaisir, de la joie, de la bonne humeur et l’envie de danser. Et ce message est bien plus puissant que tout le reste car il est fédérateur.
La culture musicale gay avait pris le tournant du siècle : finis les petites chansonnettes confidentielles, les airs interlopes, les paroles à double sens.
Une nouvelle génération de gay
Dorénavant les clubs gay vont devenir les endroits à la mode où toute la jeunesse, gay ou hétéro voudra se retrouver.
L’homosexualité honteuse et cachée va laisser la place à une génération gay qui va modifier ses codes de reconnaissance et la musique va y contribuer largement à la fois dans les clubs mais aussi dans la rue lors de toutes les gay prides du monde qui vont diffuser cette musique et faire danser la jeunesse durant plusieurs décennies. Là encore, c’est une musique sans paroles engagées qui va unir jeunes homos et hétéros dans une même ferveur festive.
Qu’en reste-il 40 ans plus tard ?
Si on fait abstraction du sous-disco commercial qui a mal vieilli, aujourd’hui la plupart des titres sont devenus des gold et ils ont dépassé largement la communauté gay qui les a vu naître.
La réinvention du disco
Les mêmes titres, écrits dans les années 70 et 80, vont passer entre les mains de plusieurs générations d’arrangeurs et de DJ’s qui vont les remixer et les réinventer.
Ainsi cette sélection de titres des années 70 va connaître des remixes dans les années 90, 2000 et la jeunesse des années 2020 dansera sur les mêmes morceaux que leurs grands parents, phénomène qui ne s’était jamais produit auparavant.
Evidemment, d’autres hits cultes vont être lancés dans les années 90, 2000, 2010 mais ils pourront parfaitement se mixer avec ces golds des années 70 sans que la jeunesse d’aujourd’hui n’ai conscience que ces titres ont déjà 40 ans d’âge.
Le disco et les gays s’assument
L’héritage musical sera donc fécond. Mais le principal héritage restera surtout le fait que l’homosexuel honteux est devenu un gay assumant sa sexualité et fier d’une sub-culture qui a émergé des placards poussiéreux.
Le monde a enfin pu identifier les artistes gay qui vivaient cachés derrière une double vie, a enfin pu pénétrer dans les clubs gay et s’apercevoir qu’on s’y amusait et y rencontrait une grande diversité sociale, raciale ou générationnelle.
Le début des années 80 va connaître un prolongement de courte durée de cette explosion festive avant que le SIDA ne mette fin à la fête. Ce sera l’objet d’un prochain article.
- À lire : Les années 1930-1950
- À lire : Période 1950-1960
- Revoir : Précédemment 1970-1975