L’artiste Haus Of Bobbi dévoile sa pop mélancolique

Il ne faut jamais se fier aux apparences. Julien est un artiste qui interprète ses chansons avec une voix douce et mélancolique. Et pourtant, il en impose avec sa carrure. Normand d’origine (Bernay dans l’Eure), vous le connaîtrez sous son nom d’artiste : Haus Of Bobbi. Musique, image, son… ses talents sont multiples. Il nous raconte des histoires d’amour entre garçons. Rencontre avec le talentueux Haus Of Bobbi…

Artiste Haus Of Bobbi
(Haus Of Bobbi)

Gayviking : Avec votre dernier EP « Je t’aime trop », on sent un homme très mélancolique avec une forte sensibilité. Est-ce un trait qui vous caractérise dans la vie ?

Haus Of Bobbi : Je pense que c’est quelque chose que j’ai en moi depuis toujours. Il y a encore quelques années on ne parlait pas vraiment de l’hypersensibilité émotionnelle, et j’ai découvert petit à petit que cette façon d’appréhender le monde qui m’entoure n’était pas qu’un aveu de faiblesse, comme on me l’avait souvent pointé du doigt dans mon adolescence, parce que je ne cochais pas les codes de la masculinité caricaturale dans laquelle j’ai grandi.

C’est quelque chose qui s’est amplifié avec l’âge et la perte de la naïveté de mes jeunes années. On découvre que le quotidien est souvent cruel et que pour quelques instants de bonheur, il y a aussi beaucoup de solitude dans ce sentiment d’être incompris.

Dans la vie de tous les jours, ça n’est pas forcément le trait de caractère qui ressort au premier abord quand on me rencontre, c’est très intérieur et je l’extériorise principalement dans ma musique

Je navigue donc entre des moments de grand enthousiasme, de sentiment de légèreté et d’autres plus sombres. C’est quelque chose que j’ai décidé d’assumer totalement dans mes chansons que j’aime à qualifier de mélodrama-pop aux accents bipolaires.

Quel est votre parcours ?

J’ai fait de la musique très jeune, au conservatoire où j’ai appris le solfège et fait dix ans de saxophone. J’ai appris à pianoter en autodidacte sur un orgue bontempi puis Yamaha et j’ai dû écrire ma première chanson vers 16 ans, pour une fille.

À l’époque, m’engager dans une voie artistique n’était pas une option possible dans les parcours de vie qu’on me présentait. J’ai donc laissé tout ça de côté et j’ai passé un paquet d’années à travailler dans la programmation web, un domaine dans lequel j’exerce encore. Je suis revenu à la musique presque par accident. C’était quelques années après mon coming out qui lui même a été assez tardif. J’avais beaucoup de questionnements et de mélancolie à exprimer et les mettre en chanson a été le moyen que j’ai trouvé pour le faire. Des histoires assez dark dont je voulais faire quelque chose de beau. Peut-être un moyen de les justifier car si elles viennent à former une œuvre qui me touche et touche d’autres personnes, alors elles auront eu raison d’exister.

J’ai appris à la maison toutes les bases de la Musique Assistée par Ordinateur sur mon temps libre et j’ai sorti mes premières chansons au compte goutte, de façon très exploratoire. J’avais à cette époque beaucoup de mal à savoir qui j’étais vraiment. La question que je me posais, c’était : si on m’enlève mon travail, ma famille, que reste-t-il de moi ? Et que veux tu que les gens qui t’entourent retiennent de toi ? Ma musique et mon travail sur l’image ont été la révélation et la réponse à ces questions.

L’image semble avoir une place importante dans votre œuvre. Il suffit de regarder vos clips, les mises en scène, les images sont artistiquement très belles, notamment le clip qui a été tourné en Normandie dans l’Eure à l’Abbaye de Fontaine Guérard. Vous savez dérouler le « grand jeu » avec beaucoup de sensibilité. Quelle place accordez-vous à vos clips ?

Quand j’ai pris la décision de sortir ma première chanson sur les plateformes, je me suis tout de suite rendu compte qu’il était impossible d’atteindre le public sans image. J’ai grandi à l’époque de l’avènement du clip en tant qu’œuvre cinématographique à part entière alors évidemment c’est un process dans lequel je voulais inscrire ma production. De part cette éducation au clip, j’ai très souvent dès l’écriture des chansons un imagier qui se construit dans ma tête.

C’était le cas par exemple pour « Emmène-moi » qui est un titre dont le propos ne raconte pas réellement d’histoire mais décrit la naissance du désir charnel, de l’envie et de l’abandon à l’autre. J’ai tout de suite voulu ancrer la vidéo dans un contexte historique et monacal pour donner un autre niveau de lecture aux paroles. C’est également ce que j’avais fait pour « Dernière fois » sur l’EP précédent, où la déclaration d’amour très naïve est remise en perspective par le comportement psychotique du personnage que j’incarne, et emmène la chanson dans une autre histoire.

Les films que je réalise, en grande partie avec K Sensei, font partie intégrante du projet. Ma musique peut vivre sans, mais l’histoire serait incomplète. C’est également un gros point d’entrée du public vers mes chansons, et souvent aussi l’occasion de mieux la comprendre.

Tout ceci est complètement autoproduit, avec des moyens très limités, de manière parfois un peu old school mais clairement assumée, à l’image de cet artiste un peu entre deux âges, « coincé » entre ses influences du passé et du présent. J’ai la chance de travailler avec une petite équipe de passionnés qui comprend mon esthétique, ma vision des choses, ou à défaut qui lui font confiance.

Quels sont les artistes qui vous influencent ?

C’est un énorme mix de la variété française et internationale des années 80 / début 90. Mylène Farmer via son travail avec Laurent Boutonnat, sans grande surprise, mais aussi Daho, Balavoine et toutes les one shot song de l’époque.
J’ai énormément écouté Michael Jackson donc si on creuse on doit retrouver quelques petites choses sur la chanson « Danser ce soir » par exemple. Sur une temporalité plus proche, je citerais Woodkid, C. Tangana, Gaga et Vincent Delerm pour les parties piano / voix. Récemment un ingé son m’a qualifié de croisement entre Martin Gore (Depeche mode) et Michel Berger. Ça me va très bien.

musique
(haus Of Bobbi, en live)

Comment trouvez-vous l’inspiration pour vos compositions ?

Mon inspiration est souvent furtive. Je décide rarement de composer une chanson. Ça peut venir de quatre accords que je m’autorise en passant sur le vieux piano de mon salon ou bien dans des situations totalement inadaptées comme sur la route ou bien en étendant mon linge. J’enregistre tout de suite mon idée sur le téléphone parce que ce genre de fulgurance repart en général aussi vite qu’elle est arrivée. C’est en tous cas toujours dans des moments de réflexion, d’introspection, qui eux peuvent être complètement déconnectés de mon activité sur le moment.

Les thèmes que vous abordez sont essentiellement ceux de la communauté LGBT+. L’amour entre deux garçons est toujours important dans votre musique et les clips vidéos…

La quasi totalité de mes chansons parle d’amour, de ses travers, de la complexité de la relation amoureuse. Il faut croire que c’est ce qui m’inspire le plus et me provoque le plus d’émotions ! Il a toujours été clair pour moi que mes histoires entre garçons n’avaient pas à être anonymisées, aussi bien dans les paroles que dans les vidéos. Et c’est d’ailleurs partie intégrante de mon projet : montrer des garçons qui s’aiment, se déchirent, se retrouvent, se perdent ; montrer de la vie des couples homo ce qu’on montre sans complexe de celle des couples hétéro, leurs baisers, leurs caresses, leur peau qui se touche; et montrer au final que nos histoires et nos amours sont les mêmes, peu importe avec qui on les vit.

 

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Sur le dernier EP, je parle aussi de l’amour qu’on nous interdit de vivre publiquement sans risque de se faire agresser ou tuer (Paradis, Je t’aime trop). Ça fait suite à une remarque d’un journaliste me disant en off que désormais les gays pouvaient vivre dans la rue comme tout le monde. Ça m’a choqué qu’on puisse le croire alors qu’il y a très peu d’endroits où l’on peut sortir et se montrer affectueux avec son mec sans avoir besoin de se cacher.

Lors de notre premier contact, vous avez regretté une difficulté pour les artistes LGBT à diffuser leur projet…

Depuis 40 ans, il y a eu énormément d’avancées pour la communauté LGBT, c’est indéniable, mais depuis plusieurs mois, on se prend de plein fouet une régression en terme de droits dans bon nombre de pays voisins et de considération dans notre propre pays. L’homophobie – pourtant un délit – est de plus en plus décomplexée sur les réseaux comme dans la vie de tous les jours.

Des artistes LGBT, il y en a évidemment plein dans le paysage audiovisuel français, mais je ressens de plus en plus ce retour du « pas de vague » ou « don’t ask / don’t tell » (ne rien demander, ne rien dire). J’ai parfois l’impression que dans les médias grand public, on ne nous autorise à ne montrer qu’une partie de nos vies, la plus consensuelle, ou la plus folklorique, mais que tout ce qui fait notre réalité est mis de côté.

Je ne pense pas pour autant qu’il s’agit d’un rejet, mais d’une frilosité pour certains médias à évoquer et montrer les choses, sans doute pour éviter de s’attirer les foudres des homophobes. J’ai l’expérience personnelle d’un média qui a annulé un reportage prévu sur l’un de mes clips après l’avoir visionné. C’est assez questionnant quand tu estimes que ton travail n’a pas vocation à être segmentant.

Après pour être clair, tout artiste indépendant galère à faire parler de son projet, et j’ai au moins la chance que beaucoup de presse LGBT porte de l’intérêt à ce que je fais, et c’est une énorme satisfaction. L’indépendance, même si elle est précaire, me permet aussi de montrer les choses comme je le veux, ce qui ne serait pas possible si j’étais signé.

clip video
(extrait clip « emmène-moi » Haus Of Bobbi)

D’où vient votre nom d’artiste Haus Of Bobbi ?

Alors historiquement Bobbi est le surnom que me donne mon amoureux quand il parle de moi à ses amis. Je l’ai donc repris en changeant le Y par un i pour faire moins américain. Mais j’avais envie d’un pseudo qui sonne un peu moins « prénom ». J’ai donc ajouté devant le Haus Of, clin d’œil à la « Haus Of Gaga » et aux « maisons » (« Haus » est l’allemand de maison) auxquelles appartiennent les drag queens. Ainsi ce nom est plus représentatif de ma démarche globale, de cette notion d’univers que je développe, et de la petite famille artistique qui se crée autour.

Vous avez fait quelques concerts notamment en Normandie, avez-vous un agenda où le public pourra vous rencontrer prochainement ?

J’ai joué en février dernier à la Bellevilloise pour le VendrediXXL et dernièrement à Rouen. Je serai le vendredi 19 avril au Hangar Zéro au Havre et je peux vous annoncer avant tout le monde que Fiertés Colorées m’a choisi pour le concert clôturant la Pride de Rouen le 22 juin 2024 ! Et ça c’est une grande fierté.

Pour aller plus loin

Pour écouter Haus Of Bobbi :
DeezerSpotifyYoutubeApple MusicBandCamp

Ses réseaux sociaux :
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Son site internet : hausofbobbi.com

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