On ne veut pas admettre que notre corps change chaque jour. Il prendra quelques rides. Les homos sont parfois ingrats et irrespectueux envers leurs ainés… comme si on voulait fuir l’inévitable. Alors qu’il n’y a rien de dramatique. Le temps peut être un atout et nous faire gagner de l’assurance et de l’expérience.
Une tranche de vie
Voici une rencontre avec Daniel ou plutôt Dan. Peut-être que quelqu’uns d’entre vous le connaisse déjà si vous surfez sur le forum gay et lesbien de Gayviking. Il habite dans le département de la Manche (50). Un département presque exclusivement rural. Il est gay. Âgé de 63 ans, Dan est un garçon gentil et dynamique.
Il nous raconte sa vie d’homo… une tranche de vie heureuse…
(les photos sont des illustrations pour l’article)
Mes racines : la Normandie
Gayviking : A 63 ans, tu es un jeune retraité, comment as-tu commencé ta vie ?
Dan : Je suis retraité depuis 3 ans. Professionnellement, j’ai été chauffeur de taxi à Paris pendant 11 ans. Ensuite j’ai travaillé dans une librairie-papeterie pendant 15 ans, puis dans une papeterie 14 ans.
Gayviking : Tu as toujours vécu en Normandie ?
Dan : Non, je suis né et j’ai vécu 25 ans dans la banlieue parisienne, puis 35 ans à Paris. Ma mère est née dans le coin de Normandie où je vis désormais. Enfant j’y venais en vacances chez mon oncle. C’est là que sont mes racines, et je n’envisageais pas de passer ma retraite à Paris.
Gayviking : Quand as-tu réalisé que tu étais homo ?
Dan : Je l’ai surtout réalisé à l’adolescence. Pour faire comme les copains, je flirtais dans les surprises-partys avec des filles, mais sans grande conviction, ni désir. J’étais plus attiré par les garçons. Mais à l’époque (avant 1968), c’était inenvisageable.
Je suis resté célibataire
Gayviking : Tu as fait ton coming out (parents, ami, ex-collègues…) ?
Dan : A 29 ans, en 1976, auprès d’amis, puis mon frère, ma belle-sœur, et mes cousins. Je n’en ai jamais parlé à mes parents de peur de les blesser. Mon père (décédé,né en 1908) et ma mère (née en 1912) sont d’une autre génération. Je m’étais promis si j’avais vécu en couple de ne pas me cacher, mais je suis resté célibataire.
Gayviking : as-tu déjà été en couple ?
Dan : J’ai toujours vécu seul, il m’est arrivé de tomber amoureux mais ce n’était pas réciproque.
Gayviking : La solitude aujourd’hui est-elle pesante ? Penses-tu qu’elle soit plus forte quand on est homo ?
Dan : Je suis habitué à vivre seul. Enfant j’aimais beaucoup lire et je restais volontiers seul dans mon coin. Je ne pense pas quelle soit plus forte quand on est homo. De nombreuses femmes se retrouvent seules, et dans le monde rural, des hommes sont dans le même cas. La différence est que si 10% des hommes sont gays, cela veut dire que 90% sont inaccessibles, ce qui limite fortement les chances de trouver sa moitié d’orange.
Me lamenter ne sert à rien
Gayviking :Mais es-tu heureux ? »
Dan : Oui, je suis heureux. J’ai la chance de voir mon verre à moitié plein. Pendant des années, j’ai rêvé d’avoir une petite maison en pierre et de créer un jardin. Pour l’instant, je suis en bonne santé alors j’en profite pendant les années qui me restent à vivre. Me lamenter sur ce que je n’ai pas ne sert à rien et m’empêche d’apprécier ce que j’ai la chance d’avoir.
Gayviking :As-tu le désire d’être en couple aujourd’hui ? Tu réalises des rencontres ?
Dan : Oui, mais je suis réaliste, à 63ans, mes chances sont infinitésimales. De plus ayant vécu toujours seul, j’ai pris des habitudes, et vivre à deux me poserait peut-être des problèmes. Je fais des rencontres l’été sur les plages (dans une de tes chroniques,tu as bien décris le ballet des marmottes.^^)… mais ce sont des rencontres sans lendemain.
Gayviking : les habitants de ton ‘village’ sont-ils au courant de ton homosexualité ?
Dan : Seule ma famille proche est officiellement au courant. Il ne faut pas sous-estimer les gens. Lorsqu’un homme vit seul, sans présence féminine, c’est une chose à laquelle on pense. Mes voisins ne m’ont jamais posé la question, mais je ne serais pas autrement surpris qu’ils s’en doutent.
Il faut profiter du temps présent
Gayviking :J’observe que les homos, plus que les hétéros, ont des difficultés à vieillir, comment l’as-tu vécu ?
Dan : Lorsque j’avais une trentaine d’années, j’avais remarqué dans les annonces de Gay-pied (magazine gay de 1979 à 1992),que passé 30ans on était prié de s’abstenir. Les femmes acceptent un partenaire du même âge ou plus âgé. Les hommes recherche des partenaires plus jeunes qu’ils soient hétéros ou homos. Curieusement, bien que le corps vieillisse, on se sent à 60 ans, comme à 40. Bien sûr, en se levant le matin, on est ankylosé, le souffle est plus court, on met plus de temps à récupérer après un effort. Mais lorsque l’on a la chance de ne pas avoir de gros problèmes de santé, il faut profiter du temps présent CARPE DIEM.
Gayviking :Le regard des jeunes homos est parfois dur sur leur ainés alors que l’on sera, un jour, tous vieux, comment le ressens-tu et comment le vis-tu ?
Dan : Effectivement il y a parfois du mépris pour les vieux, je le prends sereinement, les jeunes seront vieux à leur tour, et cela arrive plus vite qu’on ne pense…
Gayviking :L’actualité LGBT évoque de temps en temps des maisons de retraite gay, quel est ton avis, est-ce une bonne chose ?
Dan : Mes parents sont rentrés dans une maison de retraite il y a 8 ans, ils avaient respectivement 94ans et 90ans. Il y a, à vue de nez, 10 fois plus de femmes que d’hommes dans ces foyers. Est-ce que le nombre de gays sera suffisant pour rentabiliser ces établissements… L’idéal est de rester chez soi, tant que l’état de dépendance le permet.
Je reste optimiste
Gayviking :Quel est ton avis sur la vie gay et lesbienne dans la région ?
Dan : La vie gay et lesbienne dans la région est assez limitée, mais à Paris, je n’allais pas plus dans les bars et boites gays.
Gayviking :Pourquoi tu ne t’investis pas dans une association gay pour faire partager ton expérience, serait-ce envisageable, tu l’as peut-être déjà fait…
Dan : A ses débuts, j’avais participé à quelques émissions de Fréquence Gaie (radio gay sur Paris née en 1981 devenue en 1998 Radio FG) ,je me suis rendu compte que cela tournait à la lutte de clans, chacun se servait de la radio pour ses ambitions personnelles. J’ai abandonné, et cela m’a dégouté des associations et du militantisme.
Gayviking : Comment vois-tu les années à venir, tes projets ?
Dan : L’important, à la retraite est d’avoir des occupations qui vous passionnent. J’ai un jardin et une maison, et il y a toujours des choses à faire, des projets à mener à bien. J’ai une famille proche et un cercle d’amis qui me sont chers. Alors comme disait Mme Laetitia, la mère de Napoléon « Pourvu que ça dure! » ^^
Gayviking : Pour finir et en général, es-tu optimiste dans l’avenir concernant l’acceptation de l’homosexualité ? »
Dan : En plus de 60 ans, j’ai vu l’évolution de l’acceptation de l’homosexualité. Je sais que ce n’est pas parfait, il y a encore des rejets et des injustices en France. Sans parler des pays où l’on risque sa vie ou la prison.
Lorsque j’avais 20 ans, les gays étaient des pervers ou au mieux des malades qu’il fallait soigner. Il était inconcevable qu’ils puissent vivre ensemble en étant protégés par un PACS ou même qu’un homme politique puisse être élu député ou maire d’une grande ville. Je suis donc optimiste, pour l’instant cela change dans le bon sens.
Pour aller plus loin
Article sur Yagg.com concernant les maisons de retraites gays- sept.2009 (cliquez ici)
Association LGR – Les gays retraités (cliquez ici)
Hexagone Gay, l’histoire collective de la mémoire LGBT (cliquez ici)
Les photo en noir et blanc (2, 3 et 4) sont du photographe Richard Renaldi (lien cassé).