Chacun joue son rôle
Ce film retrace de septembre 2012 à mai 2013 la bataille législative autour du projet de loi. La sociologue Irène Théry raconte les enjeux du débat à son fils Mathias qui est aussi réalisateur du film avec Étienne Chaillou. De ces échanges nait un film avec des peluches et des jouets… mais aussi avec des vrais gens. Les politiques, les manifestants, les experts, les journalistes,… chacun joue son propre rôle.
L’histoire de la famille
Gayviking a pu le visionner en avant-première. C’est un film drôle, sincère avec des scènes émouvantes et révoltantes. Sous le décor de l’intime avec Irène Théry et son fils Mathias, ce film est également pédagogique. On nous retrace notamment l’histoire de la famille, du mariage, et ce qu’est la parentalité aujourd’hui… Un film conçu avec intelligence, la famille n’arrête pas de changer
Comme le souligne Irène Théry dans notre interview (ci-dessous), cette année de débats a vu la victoire de l’égalité mais aura également été la pire année pour de nombreux homosexuel(le)s, victimes de la haine des anti-égalité.
… un film à voir, à ne pas oublier.
Bande-annonce
INTERVIEW
Irène Théry, Sociologue, et figure emblématique du film La Sociologue et l’Ourson a bien voulu répondre à quelques questions pour Gayviking.
Irène Théry est sociologue, spécialisée dans la sociologie du droit de la famille, de la vie privée et des rapports de genre. Depuis vingt ans, Irène Théry s’est impliquée dans le soutien aux droits des personnes LGBT.
Gayviking : A un moment du film, lors des débats enflammés face aux opposants,on vous voit un peu seule. Avez-vous eu des moments de doutes ou de découragement pendant ces longs mois ?
Irène Théry : Des moments de doute, je n’en ai absolument jamais eu. Des moments de découragement, oui, parfois je l’avoue, le dimanche, entre deux moments d’engagement citoyen… Je trouvais décourageant de voir la Manif pour tous gagner de plus en plus de terrain médiatique, et sourire en se présentant comme « le peuple » alors que je savais que ce camp traditionaliste intégriste était en réalité très minoritaire. Les sondages de l’époque étaient clairs : plus de 65 % des français pour le mariage de même sexe, une majorité pour l’adoption, et une adhésion massive aux deux chez les moins de 50 ans… Je pense qu’avec les moyens financiers énormes que l’Église a mis à leur disposition, les opposants étaient tous dans la rue !
Le grand discours de Christiane Taubira
Mais au fond, ce qui me décourageait le plus était le silence des politiques défenseurs du projet, dans les longs mois qui ont précédé le grand discours de Christiane Taubira à l’ouverture du débat parlementaire. J’ai été stupéfaite, comme vous pouvez l’imaginer, par la déclaration de François Hollande sur la prétendue « clause de conscience » des maires qui ne voudraient pas célébrer un mariage gay… Je l’ai vécu comme une trahison, absurde en plus. Je suis sure qu’il la regrette, maintenant, car avoir institué le mariage restera l’un des grands accomplissements de son quinquennat.
Le mot « homophobie » est rarement mentionné dans le film. Il y a bien un passage où l’on évoque les actes de vandalisme comme dans un bar gay à Lille, mais la dimension homophobe des opposants au mariage pour tous n’est pas clairement soulignée alors que c’est bien une des raisons principales des opposants : le rejet des personnes gays et lesbiennes…
Je n’ai pas le sentiment que l’homophobie ne soit pas soulignée dans le film, au contraire. Le choix des réalisateurs a été de traiter cette dimension homophobe, qui a été si dramatique, non par la répétition, mais en mettant en exergue des moments très forts. Je pense à deux exemples : au début, il y a ce long plan fixe sur une banderole terrible de Civitas : « la France a besoin d‘enfants, pas d’homosexuels » : ce plan fixe fait froid dans le dos, on ne peut plus l’oublier. Surtout qu’il est mis dans le contexte d’un discours très empathique sur le sens profond de la sortie du placard et de la revendication du mariage par les couples homos, des couples qu’on voit juste avant et juste après célébrés à travers des marionnettes qui vous tirent des larmes…
Se libérer de cette homophobie…
Et puis bien sûr, il y a le très long échange de la fin, quand je parle avec un couple d’hommes qui ont plus de 60 ans, 27 ans de vie commune, et qui témoignent de la douleur de cette expérience de l’homophobie qu’ils ont vécue comme jamais ils n’avaient pensé devoir la vivre, et qui en détaillent chaque aspect.
Pour moi, c’est une des plus grandes scènes du film, car elle est prise sur le vif, et tout y est. Ils parlent aussi bien des insultes que de la violence physique, ils détaillent les menaces vécues lors d’un meeting où Erwann Binet a dû être exfiltré pour sa sécurité, ils parlent de leur peur face à ces hordes qui disent « on n’est pas homophobes » et qui ont, comme ils disent « la bave aux lèvres ». Ils parlent aussi de leur besoin de se libérer de cette homophobie subie, comme ils l’ont fait en agrippant Frigide Barjot par l’épaule pour lui dire « honte à vous ».
Que cette conversation ait eu lieu à un moment de liesse, quand on fêtait le vote de la loi, résume tout le paradoxe de ces longs mois de 2012-2013 : pour beaucoup d’homosexuel(le)s, cette année de victoire de l’égalité, d’intégration au cœur du pacte social républicain a travers le mariage et la filiation, a été aussi la pire de leur vie.
Dans le film, on vous voit assister au vote du texte à l’Assemblée Nationale et l’approbation du projet de loi. Outre les opposants ayant investis les tribunes de l’hémicycle, qu’avez-vous ressentie au moment de la proclamation du résultat ?
En fait, j’ai assisté non pas au vote, mais à l’ouverture des débats. Je suis heureuse d’avoir pu entendre en direct le discours de Christiane Taubira, surtout quand elle laisse les opposants à leurs basses manœuvres et à leur brouhaha et se tourne tout tranquillement vers la gauche, avec cette phrase qu’on entend deux fois dans le film « Nous, nous sommes fiers de ce que nous faisons ».
« égalité ! égalité ! »
Le moment du vote, je l’ai découvert comme tout le monde, à la télévision. Ce moment où les députés de gauche scandent « égalité, égalité » est bouleversant. Ils sont en train d‘écrire l’Histoire, ils le savent. Pour une fois, ils incarnent la voix des citoyens auprès desquels ils s’étaient engagés, c’est beau.
Pensez-vous que ce film pourra convaincre les derniers récalcitrants au mariage pour tous et à l’adoption ?
C’est toujours difficile de prétendre qu’un film va convaincre. Il y a des gens qui, comme vous l’avez rappelé, sont des homophobes irrécupérables. Mais il y a eu aussi a l’époque pas mal de gens désorientés. Et là, oui, je le pense, le film peut convaincre. Parce qu’il est entièrement tourné du côté d’une explication du changement social, de façon à la fois ludique, drôle et très pédagogique.
Et puis les images de la fin sont très belles, très fortes, ces photos de mariage c’est du bonheur privé à l’état pur, du bonheur public à l’état pur. Qui voudrait rester au dehors ? Parfois, c’est le triomphe de l’amour et du bonheur qui convainc, plus encore que la dénonciation des injustices, qui est indispensable, mais ne suffit pas à montrer en positif tout ce que, en se battant pour leurs droits, les homosexuels ont apporté à tout notre pays, à toutes les familles, à tous les mariages. C’est ça aussi le sens du film, non ?
Le rôle du film documentaire
Dans le film, vous dites à votre fils que le cinéma joue un rôle énorme dans le débat. A l’époque du débat et encore aujourd’hui quel rôle doit-il jouer comme dans la lutte contres les discriminations ?
Dans le film, je dis cela en pensant surtout au rôle que joue le cinéma quand il donne à voir des réalités humaines que les gens ne connaissent pas, et sur lesquelles ils fantasment en exprimant uniquement des préjugés et des peurs.
Pour moi, l’exemple de ce rôle du cinéma, c’est le film documentaire magnifique « Naitre père » de Delphine Lanson. On ne peut plus jamais voir la GPA de la même façon après avoir vu ce film, tout le monde devrait le voir ! C’est pourquoi on parle beaucoup de « Naitre père » dans La sociologue et l’ourson… Mais ce n’est pas le seul rôle possible : la preuve, dans le film mon fils me dit « Maman, arrête, on ne fera pas le film que toi, tu voulais ! », et il a bien raison de revendiquer son indépendance. Ce qu’il a voulu faire, avec Étienne, est de montrer que le cinéma est là aussi pour que les personnes qu’on a mis « à part » amènent les autres, la majorité si vous voulez, à s’interroger sur elles mêmes.
Ainsi, Mathias m’a amenée a parler de ma vie privée, de mon arrière grand-mère et de ma grand-mère : ce que je n’ai jamais fait avant. Eh bien, depuis le film je suis plus certaine que jamais qu’il y a un rapport direct entre la façon dont on a traité autrefois comme de vrais parias sociaux les « bâtards » comme ma grand mère, et la façon dont on traite aujourd’hui les enfants nés de GPA à l’étranger. Et puis, enfin, il y a les films de fiction : de « Brokeback Mountain » à « Quand on a 17 ans », le dernier Téchiné, la fiction joue un rôle immense dans la lutte contre l’homophobie : car tout le monde aujourd’hui, homme ou femme, cisgenre ou transgenre, hétéro, bi ou homo, peut s’identifier à ces histoires d’amour. Quel élargissement de l’horizon pour tous !!
AVANT-PREMIÈRE
La sociologue et l’ourson…
ROUEN ce jeudi 31 mars 2016 à 20h au Cinéma l’Omnia (rue de la République) en présence de Irène Théry. Après la projection, un débat sera organisé par l’association lgbt HES (Homosexualité et Socialisme), en présence de Yohann Roszevitch, ancien président de SOS Homophobie.
STRASBOURG ce mercredi 30 mars 2016 à 20h15 au Star St Exupéry en présence de Irène Théry, une projection rencontre organisée par HES Strasbourg.
GRENOBLE le samedi 2 avril à 16h au club pour Festival Vues d’en face
ORLÉANS le mardi 4 avril à 20h au Cinéma Les Carmes
PARIS le mardi 5 avril à 20h au Gaumont Opéra en présence des réalisateurs Etienne Chaillou et Mathias Thery et aussi Irène Théry avec le site média Yagg.
… le 6 avril en sortie nationale.
Pour aller plus loin…
Site internet officiel du film La sociologue et l’ourson
Page Facebook du film