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Le monde interlope des music-halls et des cabarets de travestis d’avant guerre avait généré de nombreuses chansons dont les paroles à double sens ou utilisant l’autodérision faisaient le bonheur du milieu homosexuel. Le harcèlement et la déportation de nombreux homosexuels par les nazis n’a pas été suivie d’une libération des mœurs, bien au contraire. A la libération, les homosexuels ont continué à subir les lois répressives que Vichy avait instauré contre eux et beaucoup furent inquiétés et soupçonnés de collaboration.
La Libération… mais pas pour tous.
Pour les grands chanteurs homosexuels de l’après-guerre, comme Charles Trénet, Jean Sablon, André Claveau, Luis Mariano, Dario Moreno, il n’était pas question d’évoquer l’homosexualité dans leurs chansons et leur public, essentiellement féminin, ignorait tout de leurs mœurs. Seul le milieu homosexuel savait parfaitement que tel chanteur était « comme ça » et donc ses chansons prenaient une autre dimension même si elles semblaient évoquer des amours hétérosexuelles. Le langage était toujours crypté pour que le grand public n’y décèle rien de subversif. Mais il suffisait de remplacer un seul mot ou un seul prénom féminin dans une chanson pour que toutes les paroles soient parfaitement adaptées aux amours secrètes des homosexuels.
Paroles à double sens
Charles Trénet usa quelques fois de paroles à double sens, notamment dans « Le Jardin extraordinaire » (1957) qui, pour les homosexuels, évoquait la drague homo dans le Jardin des Tuileries à Paris, lorsque les statues s’en vont danser sur le gazon dès la nuit tombée.
Autre chanson écrite puis reprise par Charles Trénet dans les années 50 mais interprétée par Jean Sablon dès 1936, « Vous qui passez sans me voir» est aussi une chanson où la sensibilité homosexuelle est évidente. Elle évoque la difficulté de déclarer son amour à un être (dont le genre n’est pas identifié) qui reste totalement insensible et imperméable.
La palme de la chanson à double sens reste à Jean-Claude Pascal, acteur et chanteur lui aussi homosexuel, qui gagna le concours Eurovision de la chanson en 1961 avec la chanson « Nous les amoureux ». Ce que ses contemporains ne savaient pas, à part le cercle averti des milieux homosexuels, c’est que les paroles de cette chanson avaient été écrites pour dénoncer la répression contre les amours homosexuelles, condamnées à la prison par la justice, à l’enfer par la religion et à la réprobation d’une société encore archaïque.
Mais ces paroles furent aussi prémonitoires car elles annonçaient que « l’heure va sonner des nuits moins difficiles – et je pourrai t’aimer sans qu’on en parle en ville... » Jean-Claude Pascalreconnaîtra, bien plus tard, cette belle farce qu’il avait joué à cette société qui n’y avait vu que du feu… de l’amour, bien entendu.
Le hit des bars et cabarets homos des années 60
Dans les années 50 et 60, la mode des discothèques n’étaient pas encore née et encore moins celle des clubs gay qui n’allait exploser que dans les années 70-80. Mais qu’écoutaient les homosexuels dans les bars homos de l’époque ? La musique disco n’existait pas non plus et le rock naissant était particulièrement macho et peu homo-sensible comme pourra l’être, plus tard, le glam rock. Le sens de la fête, en revanche, existait déjà et les chanteurs « hauts en couleurs » comme Luis Mariano et ses tenues un peu excentriques ou Dario Moreno, folle fantasque et extravagante, étaient en tête des chanteurs préférés des homos à travers des chansons comme « Mexico » (1951) pour Mariano ou « la Marmite » (1961) pour Moreno.
Et s’il existait quelques chansons qui évoquaient l’homosexualité masculine sans détour, cela ne pouvait être le fait que d’interprètes féminines. « La Grande Zoa » (1966) de Régine ou « y’a plus de Jules » (1966) d’Annie Cordy ont fait le bonheur des spectacles de travestis qui animaient les petites scènes improvisées du week-end dans les bars homos de province. Quant à la capitale, c’est chez « Madame Arthur » que la chanteuse Coccinelle connut un grand succès avec son interprétation de « Je cherche un milliardaire » (1957). Coccinelle ne cachait pas son changement de sexe, opéré au Maroc, qui fut d’ailleurs reconnu par l’’Etat Civil français. A ce titre, les journaux des années 60 en firent la première grande vedette transsexuelle, comme on disait à cette époque.
À suivre…
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