Homophobie : « c’est pas un sport de Tafiole » un journaliste crée l’indignation

plainte-homophobie(article publié le 18 février 2015 – mise à jour le 3 mars 2015)
Cela n’aurait pu être qu’une anecdote ou une simple histoire de vestiaire. Non, c’est un triste rôle que joue un journaliste avec beaucoup de sens et de contre-sens et contribue à faire le lit de l’homophobie.
Dans le journal « Orne Hebdo » dans son édition papier du 9 décembre 2014, le rédacteur en chef relate une épreuve sportive de cross dans la Mayenne. Cette épreuve est décrite comme difficile réclamant du courage et de la sueur. Le journaliste conclue son article par : « Il en faut : du cœur vaillant et du jarret de rigueur. Le cross n’est pas un sport de tafioles ». Tafiole, un mot qui  heurte, un mot qui blesse, une expression au caractère homophobe.
orne-hebdo-articleL’association de lutte contre l’homophobie, Orn’En Ciel, interpelle le rédacteur en chef du journal et lui rappelle le sens insultant du mot « tafiole » et lui précise que l’homophobie qui s’exprime à travers de tels mots ne doit pas être banalisée. L’association demande un droit de réponse au journaliste et est prié de faire amende honorable sur cette expression bien mal venue dans son article.
Après cela, on aurait pensé que l’affaire serait  close.

Le sens des mots

discrimination-sport

Mais la réponse du rédacteur en chef ne s’est pas fait attendre et ne convainc pas l’association, bien au contraire. Le journaliste persiste et signe. Il liste ses définitions. En donnant deux sens à son mot « tafiole » : « 1. Homosexuel, 2. Homme lâche, couard, faible… », il ajoute même une justification hasardeuse sur « le monde de la course à pied où des tafioles seraient des adeptes du bitume et de la piste »…  bref, une réponse à choix multiples, incomplète et par conséquent intellectuellement malhonnête.
Il est vrai que le mot « tafiole » n’est pas présent dans les grands dictionnaires (Larousse, Petit Robert, Académie Française…), mais il est notoirement reconnu dans la langue française auprès du grand public comme un homme homosexuel dans des termes injurieux. Il signifie bien le mépris à l’égard des homosexuels, des hommes jugés faibles. Même dans l’argot, « tafiole » est souvent synonyme et assimilé à « tapette », « tarlouze », « fiotte ». Le rédacteur en chef tente de dissimuler le sens des mots.

banderolePéjoratif et insultant

Ce rédacteur en chef semble pourtant avoir un beau pedigree de littéraire. Il ne pouvait pas ignorer que le terme « tafiole » avait un sens péjoratif et insultant. Quand on lit son profil public LinkedIn, on y découvre qu’il est ancien attaché parlementaire d’un sénateur, grand prix des écrivains normands et de l’académie des belles-lettres de Rouen. Il n’est donc pas novice dans l’utilisation des bons mots (ou des mauvais, c’est selon).
Également très au fait de l’actualité et notamment sportive, en tant que journaliste avisé il doit savoir que le terme de « tafiole » a déjà été condamné et catalogué à plusieurs reprises comme « insulte homophobe ».
-Par exemple, lors d’un match de football avec l’Olympique de Marseille en 2011, une banderole de supporters avait été déployée dans les tribunes du parc des princes : « bande de tafioles, soyez des hommes ». Il s’en est suivi une « amende » de 5.000 euros par la Ligue de Football pour banderole homophobe. Dans le même genre littéraire, la société Google a reconnu son erreur pour avoir donner comme synonyme au mot gay les termes homophobe « tapette », « tafiole »… On pourrait multiplier les exemples.

Obstination ?

Bien entendu, il n’y a aucun combat personnel contre le journal Orne-Hebdo et ses équipes qui relayent régulièrement l’actualité gay et lesbienne dans ses colonnes. Mais dans cette affaire, il nous semble qu’il y ait plus un problème de fierté personnelle du rédacteur en chef pour ne pas reconnaître une erreur évidente. Le journal appartient au groupe Ouest-France où le propriétaire du journal est peu enclin à l’égalité des droits des gays et lesbiennes. Ce dernier était déjà parti en croisade contre le mariage pour tous (rappel).
Peut-être habitué (ou éduqué) à ce genre de confrontation, le rédacteur en chef se pose déjà en victime en répliquant à l’association Orn’En Ciel « je préfère être victime d’une (possible) injustice plutôt que d’en commettre une. » (en plus, il aurait pu préciser nommer sa citation, Socrate).
homophobie_affichePourquoi est-il si important de ne pas traiter à la légère de tels propos ?
Il ne s’agit pas de choisir pour un journaliste les mots qu’il doit employer. Il est libre. C’est la liberté de la presse. Néanmoins, il ne faut pas détourner la liberté d’expression pour asseoir des opinions homophobes. Dans les lois relatives à la liberté d’expression et à la liberté de la presse, les propos homophobes sont condamnables depuis 2004 au même titre que le racisme ou l’antisémitisme (loi sur la presse, voir l’article 32). Il semble bien que cette nouvelle législation ne soit pas dans toutes les têtes.

Homophobie, un délit

Les propos à caractère homophobes ne sont pas une simple opinion mais bien un délit. L’association Orn’En Ciel a répondu au journaliste en écrivant : « A votre niveau de responsabilité, vous savez ce que les mots veulent dire et le mal qu’ils peuvent faire, même si on n’en a pas l’intention, même à la blague, même au second degré. Ce qui compte c’est la perception du lecteur, pas l’intention du rédacteur. » et de préciser que l’homophobie qui s’exprime par des insultes comme celle employée ne doit pas être banalisée.
Ces insultes font le lit de l’homophobie et causent de nombreux malheurs, moqueries et injustices. Elles conduisent les personnes à l’isolement, à la dépression et au suicide. Dans le domaine du sport, car c’est aussi de cela qu’il s’agit, cela créée du rejet et isole un peu plus les personnes Gays et Lesbiennes désireuses de s’investir dans le sport et encore plus dans un sport collectif.

Ne pas cautionner

orneenciel-logoL’association Orn’En Ciel a eu raison de réagir et de pas laisser passer ce genre d’expression car ne pas réagir, ne pas sanctionner, c’est cautionner. Il faut être plus que jamais mobilisé et vigilant.
L’association Orn’En Ciel ne compte pas en rester sur les définitions hasardeuses du rédacteur en chef et compte bien porter l’affaire en justice et demander une publication par voie judiciaire étant donné qu’après deux courriers successifs, l’équipe dirigeante du journal n’a pas présenté ses excuses.
… et dire que dans son article, le rédacteur en chef avait écrit : « … comme en tous domaines, il existe une échelle de valeurs à respecter« . C’est assez cocasse.
 
Rappel liens utiles :
– Orn’En Ciel : www.ornenciel.org
– SOS Homophobie : www.sos-homophobie.org
– Urgence Homophobie : que faire ? (article GAYVIKING – cliquez ici)
 
(mise à jour le 3 mars 2015 : dans son édition du 24 février 2015 (!), le  journal Orne Hebdo publie un article sur l’émotion suscitée par son reportage avec l’expression « tafiole ». Tout en rappelant le sens de son mot « tafiole » avec « coureur de bitume » (sic), le journal précise qu’il n’a pas eu d’intention homophobe et regrette l’amalgame. « Orne Hebdo comprend l’émotion qu’a pu engendrer ce mot qui, dans d’autres circonstances, sous d’autres plumes, dans d’autres esprits, revêt une connotation injurieuse, mais telle n’était pas notre volonté »
Le journal a mis du temps a réagir. Il faut dire que l’association Orn’En Ciel avait mis la pression et déposé plainte contre le journal. Redoutant sans doute le vent tourner avec la perspective de perdre un éventuel procès avec une très mauvaise publicité, la direction du journal est revenue sur son obstination en respectant le sens des mots (enfin presque).
Satisfaite, l’association a retiré sa plainte et espère qu’Orne Hebdo n’utilisera plus d’insultes homophobes dans son journal. L’association a eu le courage de ne rien lâcher et elle a eu raison.)

 
(source photo : 1ière image : Matthieu Charneau pour la couverture les Inrocks – 3ième image : France3 Normandie pour un colloque sur le sport et les discriminations)

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