LudiQueer est une association qui réunit passionnés de jeux de rôle et de société autour des valeurs d’inclusivité et de bienveillance. Née du constat que les milieux geek peuvent parfois reproduire des dynamiques stigmatisantes, l’association propose un espace sûr, ouvert à tous et toutes. Rencontre avec l’équipe de bénévoles. LudiQueer réinvente le jeu…
Gayviking : Pouvez-vous nous parler de la genèse de LudiQueer ? Comment est née l’idée de créer une association de jeux inclusive pour la communauté LGBTQIA+ ?
LudiQueer : Les termes geek et queer étaient deux insultes utilisées par les bullys anglophones pour désigner celles et ceux qui n’accédaient pas aux objectifs hétéronormés d’une société viriliste. Les deux termes ont opéré leur retournement du stigmate, devenant cris de ralliement pour leurs communautés respectives. Problème: être geek n’empêche pas d’être discriminant et viriliste, et ainsi la personne qui s’identifie à une figure stigmatisée devient stigmatisante à son tour, la victime devient bourreau…
C’est pourquoi l’idée de créer une association de jeux de rôles et jeux de société inclusive et bienveillante est venue à plusieurs personnes déçues par les logiques oppressives de boys club de certains environnements ludiques. On a contacté Ludiqueer, association de Rennes afin de leur demander si l’on pouvait s’inspirer de leurs statuts et règlement intérieur, et recevoir quelques-uns de leurs conseils. Et, à la place, ils nous ont proposé d’ouvrir une antenne de l’association à Rouen.
L’association n’a pas pour but d’être en non mixité et n’est pas destinée uniquement à la communauté LGBTQIA+. Elle est surtout destinée à toutes les personnes qui se sentent mal à l’aise dans les boys club et souhaitent l’inclusivité et la bienveillance.
Gayviking : Comment veillez-vous à ce que chaque membre, quelle que soit son identité ou son expérience, se sente à l’aise et respecté lors des rencontres ?
LudiQueer : Il n’est pas possible de s’assurer à 100% que toute personne se sente à l’aise et respectée en tous temps. On peut cependant faire de notre mieux pour éviter les mauvais moments au maximum.
Pour ce faire, on s’appuie sur trois principes:
– Le contrat social, qui nécessite de bien expliquer ce que l’on fait quand on joue à tel ou tel jeu pour éviter les malentendus et réduire les mauvaises surprises autant que faire se peut.
– Un outil de sécurité émotionnelle, généralement la X-Card, qui permet aux joueur·euse·s ou au meneur·euse de jeu de poser un véto sur une proposition ou un comportement qui leur pose problème.
– La volonté de déconstruction: le fait d’accepter la critique et de se remettre en question.
Nous sommes en train de nous organiser pour mettre en place une formation des bénévoles, animateur·rice·s, meneur·euse·s de jeu. Le format devrait être une table ronde qui tiendrait autant de l’éducation populaire que de la thérapie de groupe. Le but est de réfléchir et questionner nos pratiques ludiques d’un côté, et de s’acculturer ensemble aux questions d’inclusivité, de bienveillance, de santé mentale et ce dans une optique d’éthique et de société du care (prendre soin des autres ndlr).
Gayviking : Pouvez-vous nous décrire les différents types de jeux que vous proposez lors de vos événements ?
LudiQueer : Nous faisons pour l’instant du Jeu de Rôle au format traditionnel, c’est-à-dire avec un·e meneur·euse de jeu qui anime la partie, et des joueur·euse·s qui incarnent et défendent l’intérêt de leurs personnages représentés sur des fiches de personnages.
C’est comme Donjons & Dragons, sauf que c’est plusieurs jeux de rôles différents avec des univers et des règles adaptées, pour un peu tous les goûts…
Des aventures mignonnes dans Donjons & Chatons, des combats épiques et horrifiques dans Knight, des âmes damnées dans Vampire La Mascarade, des arts martiaux de dessin animé dans Avatar Legends, de l’horreur lovecraftienne dans Chroniques Oubliés Cthulhu, de l’humour, de la science-fiction, etc.
Pour ce qui est des jeux de société, on préfère des jeux ni trop longs ni trop complexes afin de pouvoir se détendre et de varier les plaisirs. Il n’y a pas de spécificité à proprement parler pour les animations LudiQueer Rouen, si ce n’est qu’on essaie de passer du bon temps ensemble et non au détriment d’une tierce personne. Dernièrement, la personne qui vous répond, s’est excusée d’avoir pris trop de place dans un scénario de JdR (jeux de rôle) là où dans un autre environnement elle s’en serait vantée.
Cependant nous sommes ouvert·e·s à d’autres formats. Nous allons très probablement commencer à faire du Jeu de Rôle sans meneur·se de jeu prochainement. Ludiqueer Rennes travaille à créer ou à traduire des jeux qui mettent la question queer au centre du gameplay. Et nous serons là pour playtester tout ça !
Gayviking : Organisez-vous des événements ou des soirées de jeux spécialement dédiés à certaines communautés ou thématiques ?
LudiQueer : Nous n’organisons pas de soirées ou d’événements spécialement dédiés à certaines communautés ou thématiques dans le sens de la question. Le fait de le faire n’est pas contraire à nos principes en ce sens que rien n’interdit à une meneuse de jeu lesbienne de faire jouer à Thirsty Sword Lesbians (qui est un jeu de rôle de cape et d’épée lesbien, traduit en français depuis peu) à une table en non mixité lesbienne. Je ne pourrais pas être à une telle table, mais j’adorerais la voir sur notre planning !
Gayviking : Les jeux sont-ils parfois adaptés ou modifiés pour correspondre davantage aux valeurs d’inclusivité ?
LudiQueer : Il n’est pas nécessaire de modifier un jeu de rôle en soi pour y faire jouer des scénarios qui offrent plus de représentativité pour les communautés discriminées, surtout si on les écrit soi-même. Si ce n’est pas le cas, il est toujours possible de modifier certains personnages non Joueur·euse·s, quitte à « gender swapper » (échanger les genres, ndlr) des personnages si ça nous chante.
Toujours sur l’inclusivité, j’aimerais que l’on puisse acheter des cubes en bois pour aider les dyscalculiques (troubles du calcul, ndlr) avec les aspects chiffrés des jeux de rôles, c’est pas bien cher…
Gayviking : Quelles sont les conditions pour participer à vos événements ou rejoindre LudiQueer ?
LudiQueer : Les conditions pour venir participer à nos événements jeux de société sont de pouvoir venir quand on les fait, et d’être un minimum bienveillant·e·s. Pour ça il faut éviter les remarques malvenues, les comportements de mauvais·e·s perdant·e·s, ou pire de mauvais·e·s gagnant·e·s.
Si jamais l’on dérape car l’on a pas l’habitude de faire attention à son entourage, c’est d’accepter qu’on nous fasse la remarque que l’on est sorti·e·s de la bienveillance en se comportant de telle ou telle manière, sans avoir besoin d’en faire toute une discussion et s’excuser tranquillement. Pour les parties de Jeux de Rôles, il faut réserver sa place en suivant l’actualité de l’association, le plus efficace étant de rejoindre notre serveur Discord.
Pour le moment, toutes nos animations ont lieu au Diable au Corps qui a la générosité de nous accueillir entre leurs murs au 100 Rue Saint-Hilaire, à Rouen.
Pour nous rejoindre, c’est l’adhésion sur le Helloasso de LudiQueer Rouen, 5 euros minimum, avec la possibilité de faire un don en même temps. Pour devenir bénévole, c’est un clic sur le serveur Discord, et ensuite de la participation à nos animations, nos conversations, réflexions, réunions, futures formations…
Gayviking : Quels sont vos projets futurs pour Ludiqueer ?
LudiQueer : LudiQueer Rouen est toute neuve, Ludivine notre mascotte (la peluche sur les photos ndlr) est une agnelle née de la dernière pluie. Il nous faut donc fidéliser un public et renforcer notre équipe. Nous sommes ouvert·e·s à l’idée d’établir des partenariats et allons probablement faire des animations hors les murs du Diable au Corps prochainement pour répandre la bonne parole pour des pratiques ludiques qui favorisent le vivre ensemble plutôt que la compétition, l’inclusivité plutôt que la discrimination, la bienveillance plutôt que la prédation. Si nous réussissons notre croissance, alors nous chercherons à organiser une Queervention à Rouen, en suivant le modèle de Ludiqueer Rennes durant notre exercice 2025-2026.
Gayviking : Souhaitez-vous ajouter un dernier mot ?
LudiQueer : Pratiqué dans un cadre sain, le jeux de rôle est un excellent moyen de développer son empathie et sa tolérance en jouant et en défendant l’intérêt de personnages différents de soi.
Sa pratique permet de développer la curiosité des joueur·euse·s en les transportant dans des cultures et époques différentes ; d’étendre son imagination, bien entendu, mais aussi sa capacité à résoudre des problèmes complexes en équipe. Jouer est à la fois cathartique et créatif et permet à celles et ceux pour qui ce n’est pas toujours facile de s’exprimer et de se défouler, d’apprendre à s’affirmer soi, ses droits, ses opinions sans empiéter sur ceux des autres (ça s’appelle l’assertivité).
Pour les publics LGBTQIA+, surtout jeunes, ce peut être l’occasion d’expérimenter d’autres genres, sexualités, noms, apparences, modes de vie pour s’aider à se trouver avant un éventuel coming out voire une transition.
Pour les publics neuroatypiques, c’est la possibilité de trouver un espace d’expérimentation sociale où la différence n’est pas limitante et qui permet de s’appuyer sur un univers et des règles définies, repères stricts qui facilitent l’implication. Ce qui en fait juste le meilleur moyen de socialisation pour des autistes sans retard mental, et on est collectivement en retard sur cet utilisation du loisir en France… Pour les personnes traumatisées enfin, c’est la possibilité d’expérimenter, de socialiser avec des personnes militantes pour le respect et la défense de la vulnérabilité.
Enfin en ces périodes anxiogènes aux arrières goûts pré-apocalyptiques ne devrions-nous pas nous entraîner à sauver le monde dans l’amusement, à réfléchir à comment rétablir la magie dans des univers désenchantés face aux injustices innombrables produites par des hommes si sérieux qu’ils ne savent plus jouer, et donc plus imaginer des stratégies pour sortir des cercles vicieux tragiques qui les déterminent ?
Bref, qui que vous soyez, vous pourrez devenir n’importe qui d’autre dans la fiction et quand ce sera votre tour de parole, on vous écoutera. Si tant est que vous soyez prêt·e·s à écouter à votre tour les autres personnes participant à l’aventure.
Une citation pour finir : « Une civilisation est inachevée si elle n’ajoute pas à l’art de bien travailler celui de bien jouer. » (Georges Santayana).
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(modifié le 1er novembre 2024 – ajout photo)