Article publié le 16 décembre 2018. Par Cédric Chaori
Artiste libre, femme engagée, depuis plus de 25 ans, Zazie nous accompagne, bonne copine et chanteuse à la plume délicate. À l’occasion de la parution d’Essenciel, elle se confie sur le jeunisme, l’écologie, les réseaux sociaux, et même les gays…
« Il me fallait mettre un peu de fraîcheur »
Votre 10ème album paraît ce mois-ci signé de surcroît dans une nouvelle maison de disque. On aurait pu imaginer un changement radical de direction mais vous êtes de retour avec du « bon vieux Zazie ». Est-ce une volonté de revenir à ses fondamentaux, à ce que l’on aime ?
Zazie : Je pense que les fondamentaux ne m’ont jamais quittés. Après il y a des albums qui sont plus solaires, d’autres plus âpres et questionnant. Dans cette joie infinie que j’ai d’avoir un public qui achète mes albums, je m’octroie la liberté de dire comme je dois dire. Alors après on écrit toujours la même chanson comme disait Alain Souchon. On l’éclaire juste différemment selon les âges, selon ce que l’on traverse dans sa vie. Le changement de maison de disque c’est parce que j’étais en fin de contrat et comme dans un vieux couple qui se regarde avec tendresse mais où l’un n’attend plus rien de l’autre, on se dit qu’il est bon d’aller chercher un nouvel oxygène. Il me fallait mettre un peu de fraîcheur dans ces rapports-là, j’ai donc suivi Pascal Nègre -que je connais très bien- qui créait son propre label. Alors oui Essenciel ce n’est pas un retour à l’essentiel c’est ne garder que l’essentiel. Après 50 ans, je pense qu’on est capable de cela : de ne garder honnêtement que ce qu’on aime faire.
Vous dîtes qu’Essenciel est une dixième chance qu’on vous donne. De faire de la musique, d’écrire des textes et de partager le tout avec le public. 26 ans de carrière où s’enchaînent les tubes, on ne peut pas parler que de chance. Le talent y est aussi pour beaucoup, non ?
Zazie : C’est du travail en tous cas. Quelques soient le talent ou les facilités d’expression que l’on peut avoir, c’est beaucoup de travail. Il est vrai que j’ai eu la chance d’apprendre la musique enfant – mes incursions dans la peinture furent déplorables – mais il m’a fallu énormément travailler pour progresser. Il faut aussi une bonne dose d’honnêteté et fidélité à soi-même à défaut de l’être aux autres (rires) et on essaye d’explorer un peu ce qu’on a pas encore exploré. On pourrait penser qu’avec l’âge et l’expérience il y a une certaine lourdeur qui s’installe mais je ne peux pas m’ennuyer quand je fais de la musique. Si je m’ennuie, la chanson ne sort pas. Je privilégie le fait que le chemin est plus important que le résultat. Cette année, j’ai adoré travailler de manière acharnée avec Edith Fambuena et les musiciens.
« J’apprends de mes échecs, de mes deuils, de mes ruptures »
On se souvient que Cyclo, album de 2013, abordait le temps qui passe. Très sombre, il avait dérouté à l’époque votre public. Vous abordez encore cette thématique dans Essenciel de manière bien plus apaisée. Que s’est-il passé entre temps ?
Zazie : Des choses de la vie qui arrive à tout le monde. Une petite rupture sentimentale quand même, l’âge qui avance … la société qui nous balance des trucs infâmes à la figure avec les attentats, ce diktat d’ être toujours plus belle et jeune. Bref tout un tas de choses qui inspire l’angoisse et la tristesse. Je n’échappe pas au monde, ne mange pas du caviar toute la journée dans un château. Comme tout le monde j’apprends de mes échecs, de mes deuils, de mes ruptures. Si dans la société qui m’entoure, ce qu’on me propose et qui est supposé m’apporter du bonheur m’aliène, alors je me pose et fais le tri : qu’est-ce qui me fait du bien ? Je trouve dingue qu’aujourd’hui on nous dise : « Sois heureux comme ça » pire on nous conseille fortement d’être « malheureux comme ça ». Cela me semble très dangereux. On est donc obligé de trouver un rebond. Je pense alors vraiment que notre salut passe par l’horizontalité et non plus dans la verticalité de nos rapports humains où tout le monde veut être au-dessus de l’autre.
Vous avez fait de nouveau appel à Edith Fambuena. Comment travaille t-on au quotidien avec cette compositrice inspirée et réalisatrice très, très prisée ?
Zazie : Premièrement c’est extrêmement joyeux. Travailler avec une femme qui à mon âge c’est intéressant parce qu’on voit que, sur cet âge-là, on a affaire à une femme libre qui a décidé très tôt de mener sa vie comme elle veut et qui est profondément traversée et habitée par la musique. C’est dans un mélange de sagesse et d’immaturité totale d’un enfant de 12 ans qui a piscine tous les jours qu’on a travaillé. D’ailleurs nous n’avions pas l’impression de travailler mais si c’était incontestablement un boulot de dingue que nous avons fourni. L’une attire l’autre. Ensemble nous abordons tous les aspects de la féminité : du féminisme à quelque chose de beaucoup plus masculin. Du très tendre au plus dur. On s’appelle Sis’ dans la vie pour sister car on a un pot commun infini pour aborder la vie et l’art. L’explorer. Je travaille avec elle comme au laboratoire : on connaît les produits, de temps en temps on fait des précipités blancs et parfois on fait des bombes.
Clip officiel « Speed » par Zazie
Une petite voix nous dit la vérité sur nous, même des vérités qui ne nous plaisent pas
12 bombes musicales donc pour ce nouvel album mais plus que la musique sans doute, Zazie c’est une plume incroyablement sensible et juste. D’où vous vient cet amour des mots, de l’écriture ?
Zazie : Merci pour le compliment. J’ai envie de dire que c’est quelque chose de très générationnel. Enfant je n’exprimais pas mes sentiments avec des emoticone, le portable n’existant pas. L’écrit avait plus d’importance. Nous n’avions pas Internet et nous envoyons des lettres. Parfois c’était juste « Chère Mamie. Je viens bien. Au revoir», il y a avait la base : un sujet, un verbe, un complément. Je n’avais pas la télé à la maison car mes parents avait ce côté un peu résistant donc je m’ennuyais parfois. L’ennui a parfois du bon notamment pour les enfants car il pousse à la créativité. Quand l’enfant a une tablette ou un clavier sous les yeux, il ne s’ennuie pas mais il se divertit. Mais au sens diversion pas au sens divertissement malheureusement. Cela les divertit de ce qui pourrait explorer dans leur imaginaire. Le mien je l’ai forgé, très jeune, dans la lecture. Mettre des mots sur un cinéma qu’on se fait, une rêverie issu d’un ennui est apparu tôt dans mon quotidien. Plus que la peinture comme vous l’avez compris !
« Les âmes sont » est, selon moi, le vrai trésor de l’album. Lors d’une émission télé on vous a senti émue à l’écoute du titre. Que représente ce titre pour vous ?
Zazie : C’est le premier titre que j’ai écrit. Quand on commence un album, je commence toujours par une chanson toute seule, pour vérifier que je sais toujours écrire. Après j’ouvre la composition aux autres. Cela fait plusieurs années dans ma vie que j’entends cette petite voix au fond de moi et tout autant d’années que je m’efforce de ne pas l’écouter et de faire exactement l’inverse de ce qu’elle me conseille. Quelque part cette petite voix nous dit la vérité sur nous, même des vérités qui ne nous plaisent pas. Elle n’est pas palpable, matérialisée. Lorsque nous sommes angoissés – à tort ou à raison – elle rapplique et c’est à ce moment-là qu’il faut l’écouter, lui mettre un ampli façon Marshall pour qu’elle nous hurle ce que nous devons suivre comme chemin. Ce sont des choses tellement simples qu’elle nous dit : que le verbe aimer n’est pas du tout pareil que le verbe être aimé par exemple. Nos âmes sont raconte cela. Je le chante joliment au début puis le crie à la fin pour réveiller l’auditeur. Le constat est que nos âmes sont belles. Qu’importe qu’on imagine être tout pourri, que nous vivons dans le pays qui consomme le plus d’anti-dépresseurs, il faut avoir conscience de ce que nous sommes – beau – et vivre pleinement dans le présent.
Clip officiel « L’Essenciel » par Zazie
Les homos sont des personnes dans l’avant-garde
Ok exit le monde anxiogène qui nous entoure et qui part à vau l’eau. On le voit avec l’écologie. Vous avez d’ailleurs rejoint le collectif d’artistes Freaks. Pensez-vous que les artistes puissent impacter sur la prise de conscience d’une transition écologique ?
Zazie : Vous savez les artistes ne sont pas des prêtres mais via leurs réseaux sociaux et les médias qui les accueillent ils ont accès à pas mal de gens. Outre les informer sur notre actualité artistique, nous pouvons faire passer des messages à ces followers, ce public. Faire autre chose que des ragots sociaux ou des réseaux soucieux, c’est bien aussi. Avec Freaks, qui est loin d’être un groupe de bobos utopistes, on propose des choses pratiques, écologiques et économiques. Le savon pour laver ses cheveux, la recette pour concevoir sa lessive, la gourde pour l’eau. Tous ces gestes simples sont autant de plastique en moins dans la nature. Je pense que la société civile doit faire comprendre aux industriels, aux politiques qu’elle consomme différemment et qu’il est temps de proposer autre chose. Revenons au verre pour les bouteilles, recyclables à vie. Nous sommes individualistes, très bien, alors servons-nous de nos individualités pour faire remonter à ceux qui sont plus verticaux des vérités sur notre consommation. Freaks c’est tout cela !
Les réseaux sociaux justement : j’ai mis hier sur Facebook un post annonçant notre interview. Cela a été une vraie déferlante de messages. Tout mon réseau vous embrasse, vous salue, vous adore et par la même occasion me jalouse. Comment expliquez-vous votre incroyable capital sympathie ?
Zazie : Quand on reste parfaitement soi-même, ça se sent et ça plaît. Je n’ai jamais été étiquetée. On me range dans la chanson populaire même si on reconnaît que de temps en temps ma musique est plus ou moins alternative, rock ou électro. Mes choix de mes vies sont au diapason. On ne me range pas dans une case, je suis un électron libre. Si vous parlez de la communauté homo, je vous dirais que ce sont des personnes dans l’avant-garde. Ne serait-ce que par rapport à leur choix de vie. Dire et redire que la différence ce n’est pas grave, que ça ne pique pas, c’est de l’avant-garde. Les artistes qui sont dans la même exploration, le même désir d’ouverture et de tolérance, sans pour autant être eux-mêmes homosexuels, attirent les homosexuel-le-s. Toujours questionner la société, pour faire qu’elle bouge et prenne conscience de l’altérité, pour qu’elle soit plus apaisée, nous avons cela en commun, eux et moi.
Propos recueillis par Cédric Chaory
Album Essenciel de Zazie, 12 titres (Label 6/7)
Cet article fait partie d’un échange presse avec le magazine gay, WAG, publié dans son numéro d’octobre 2018. Disponible dans les établissements gays du grand ouest.