Film Les Oiselles : Thibaud Renzi ressuscite les luttes LGBT+ dans une Normandie inattendue

Il y a des films qui réveillent des souvenirs et d’autres qui recréent ceux qui manquent. Avec Les Oiselles, le réalisateur Thibaud Renzi, 32 ans, s’empare de l’histoire militante queer des années 70 pour combler un vide, celui d’une mémoire LGBT+ trop souvent effacée ou oubliée. En mêlant archives fictives, récits de famille choisie et humour militant, son film célèbre les luttes pionnières, des Gouines Rouges aux Folles en passant par les GLH, tout en questionnant la transmission entre générations queer.

Et c’est en Normandie, à Évreux, que Renzi a ancré cette réinvention historique. Une cathédrale monumentale, un territoire traversé d’histoires invisibles, et le désir de faire renaître une énergie militante lumineuse : Les Oiselles mêle culture LGBT+ et ancrage local avec une audace rare. Gayviking a rencontré son créateur pour revenir sur cette aventure mêlant mémoire, création et territoire.

ciné gay et lesbien
(Film Les Oisselles de Thibaud Renzi, à gauche)

Synopsis du film : « Sam fait le portrait documentaire de sa tante, Danièle, une légende dans la famille. Danièle est lesbienne. Dans les années 70, elle faisait partie d’un groupe homosexuel révolutionnaire. Sam revient sur une action qu’elle et ses camarades ont mené dans la cathédrale d’Évreux, en 1976. »

Gayviking : Qu’est-ce qui vous a donné l’élan initial pour créer Les Oiselles ?

Thibaud Renzi : L’origine du film vient vraiment de ma découverte des mouvements des années 70. Je connaissais mai 68, le Mouvement de Libération des Femmes. Et j’avais un peu entendu parler du FHAR à Paris (le Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire). Mais après j’ignorais totalement toute la période qui a suivi. J’ai découvert ces militants et militantes, leurs différents groupes… Les « Gouines Rouges »,  les « Perverses Polymorphes », les « Folles », les « Gazolines »… Et puis ensuite les GLH, les Groupes de Libération Homosexuelle, qui ont essaimé dans toute la France. C’était avant le SIDA, j’ai l’impression qu’il y avait une énergie, une vitalité, qui a été tuée dans l’oeuf ensuite.

J’ai vraiment été frappé par l’humour de ces groupes, la force de leurs textes, leurs actions… Je commençais moi-même à m’engager dans des associations, et ça faisait vraiment écho avec les luttes du présent.

luttes lgbt
(Film Les Oisselles de Thibaud Renzi)

Au-delà de ma joie en découvrant tout ça, il y avait aussi un sentiment d’amertume. Un sentiment de temps perdu, qu’on ne m’ait jamais transmis tout ça. Comme s’il y avait un lien, dans le militantisme, qui avait été brisé. Avec l’impression que c’est propre aux communautés queer : ce ressenti, pour les jeunes générations, de devoir tout recommencer à zéro.

C’est de ça dont j’ai voulu parler avec le film. Je voulais pas forcément raconter les années 70 en soi, mais parler très précisément de cette transmission qui m’a manqué.

Le film repose sur un dispositif de faux documentaires, d’archives inventées, de « famille choisie ». Pourquoi avoir choisi cette forme ?

Thibaud Renzi : Assez vite dans l’écriture, je suis retombé sur une phrase de Monique Wittig, dans son livre Les Guerillères : »Mais souviens-toi, fais un effort pour te souvenir. Ou à défaut, invente. »

Cette citation m’a vraiment percuté. Elle m’a accompagné pendant tout le projet. Je trouve qu’elle s’applique bien à ce sentiment que j’avais, de manque de mémoire, de manque de traces dans le passé sur lesquelles s’appuyer.

Si on n’a pas les images, on peut les inventer ! C’est comme ça que le film à pris forme. J’avais envie de recréer des archives, au présent comme au passé. Je veux aider, à ma petite échelle, à transmettre cette lutte et cette énergie aux générations suivantes. C’est essentiel de savoir qu’on n’est pas seul·e, qu’on s’inscrit dans une continuité, que d’autres personnes avant nous sont défendu les mêmes choses, sont allées très loin.

Eglise LGBT
(Film Les Oisselles de Thibaud Renzi)

D’un point de vue plus intime, ça me permet aussi de rêver un peu. Je n’ai pas de tante lesbienne géniale, ni d’arrière grand-oncle amoureux du curé du village, comme on voit dans le film. Le cinéma peut être un bon moyen de s’inventer d’autres réalités, de se réinventer une famille, sans complexe.

Et puis, il y avait aussi un argument plus terre à terre : au début, je pensais que la forme « faux documentaire » me permettrait de tourner hyper rapidement, sans argent, avec une toute petite équipe. J’avais envie d’aller très vite.

Finalement, le film a pris de l’ampleur, il a coûté bien plus cher que ce que j’imaginais. Mais je suis fier du résultat.

Pourquoi avoir choisi la Cathédrale d’Evreux comme décor… et comment a réagi l’Église ?

Thibaud Renzi : J’ai gagné le 2ème prix d’écriture au Moulin d’Andé, un lieu en Normandie qui accueille des résidences d’écriture de cinéma. Il s’agit du Concours de l’Eure (maintenant appelé Prix Suzanne Lipinska).

La seule contrainte pour postuler à ce concours, financé par l’Eure, était que le scénario devait se passer dans le département.

C’est pour ça que l’action se passe à Évreux et dans ses alentours ! Je voulais vraiment que le coup d’éclat des Oiselles, ces 5 militantes, ait lieu dans une grande cathédrale, monumentale. Je ne voulais pas une petite église. La cathédrale d’Évreux était la plus proche, j’ai pu la visiter rapidement, et elle m’a immédiatement charmé.

Film LGBT+
(Film Les Oisselles de Thibaud Renzi)

Ensuite, nous avons eu la chance de recevoir l’aide de la Région Normandie, pour la production du film. Le tournage s’est donc confirmé là-bas.

Pour tourner dans la cathédrale, j’étais un peu anxieux, mais finalement tout s’est bien passé. Il a fallu obtenir à la fois l’autorisation des Monuments Nationaux, et l’accord du prêtre de la paroisse. Les délais sont assez longs, mais nous n’avons pas eu de problème.

Le père Eric Ladon, le curé de la paroisse Notre-Dame et de l’église Saint-Taurin d’ Évreux, n’a même pas souhaité lire le scénario. Nous lui avons présenté le projet du film, et il nous a vraiment accueilli chaleureusement. Je l’en remercie sincèrement ! Il nous a même fait une petite visite des lieux. On n’a pas encore eu l’occasion de lui montrer le film !

Outre la Normandie, le film a reçu le soutien de France Télévision. Qu’a représenté pour vous ce soutien institutionnel, notamment pour un projet audacieux sur la forme comme sur les thématiques ?

Thibaud Renzi : On a reçu le soutien de France 2 assez tôt dans la production, et vraiment je ne les remercierai jamais assez. Je suis fier que le service public puisse financer des projets comme ça, et je sui fier de porter ce « label ».

C’était parfois un projet difficile à défendre, dans sa forme et dans son propos. Avoir le soutien de France 2 c’était vraiment une chance. Surtout dans le climat actuel, où l’extrême-droite et les idées réactionnaires sont de plus en plus propagées par les personnes au pouvoir, et dans les médias.

court métrage LGBT
(Film Les Oisselles de Thibaud Renzi)

On a aussi eu le soutien de 2 chaînes TV locales : Bip TV et Val de Loire TV. C’est un dispositif de la région Centre-Val-de-Loire, et j’étais aussi extrêmement touché que ces partenaires soutiennent le film dans sa création et sa diffusion.

Comment le film est-il accueilli en festival ? Quels retours du public vous ont particulièrement touché ?

Thibaud Renzi : Le film est extrêmement bien accueilli en festival ! Il a commencé à voyager en France à partir du mois d’octobre : Paris, Lyon, Fécamp, Dinan… En décembre, il passera à Montpellier et Granville.

La forme étonne beaucoup de monde, et les premières remarques sont souvent sur ça. Est-ce que c’est un documentaire ou une fiction ? Au-delà de ça, beaucoup de monde nous dit que le film s’apprécie dans les deux cas, peu importe que ce soit vrai ou faux.
Le personnage de Danièle, la tante, a beaucoup de succès. Et la scène où les vieilles Oiselles évoquent leurs souvenirs aussi.

Je pense que la thématique du secret de famille résonne chez plein de gens. Beaucoup de compliments viennent des personnes qui se reconnaissent à un endroit du film. Des personnes, qui n’appartiennent pas forcément à la communauté LGBT, sont venues me voir pour me dire que ça leur avait parlé, par rapport à un·e proche.

queer
(Film Les Oisselles de Thibaud Renzi)

Et les plus belles réactions viennent des lesbiennes ! Je pense qu’elles perçoivent plus instinctivement ce que j’ai voulu faire passer avec le film et le dispositif : faire ressentir cette mémoire qui nous manque, célébrer les figures du passé, s’inventer des récits.

Là, je reviens de Dinan, où nous avons eu la chance de recevoir le 1er Prix de la critique, remis par le Syndicat Français de la Critique de Cinéma ! On est sur un petit nuage, avec ma productrice et le reste de l’équipe. C’est une vraie reconnaissance, ça fait plaisir.

Le film va aussi bénéficier d’une diffusion sur France 2, puis il sera disponible en replay sur leur plateforme. Nous n’avons pas encore la date de diffusion, mas j’ai hâte qu’il puisse être vu par un public plus large, LGBT+ ou non. C’est forcément moins impactant que de le voir en salle, mais j’espère qu’il pourra continuer à toucher les spectateur·ices, les faire réagir, leur donner envie d’aller explorer à leur tour la mémoire et les histoires qui nous relient.

affiche cinéma gay et lesbien
(Film Les Oisselles de Thibaud Renzi – affiche du court métrage)

+ Notre avis 

Avec Les Oiselles, Thibaud Renzi offre bien plus qu’un film : il propose un acte de transmission, une invitation à se réapproprier nos histoires et à réinventer celles qui manquent. Un geste qui inscrit la Normandie dans un imaginaire queer vibrant et nécessaire.

« Les Oiselles », court métrage, écrit et réalisé par Thibaud Renzi produit par Les Films des Turbulentes. Interprétés notamment par Léo Landon Barret, Martine Schambacher, Jean-Edouard Bodziak, Pascale Morel.

Prochainement dans les festivals Cinéma de la région : Fécamp, Granville (Festival de courts métrages britanniques et normands de Granville les 5, 6 et  décembre 2025) et sur France 2 (Histoires Courtes).

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