Beautés masculines, photographies 1848-1990, portraits et nus de Nicole Canet

Les Éditions Galerie Au Bonheur du Jour, sous la direction de Nicole Canet, viennent de publier « Beautés Masculines ». Ce livre de 256 pages aborde les grandes thématiques du nu masculin à travers plus d’un siècle de photographies de 1848 à 1990.

Jean Daniel Cadinot (1944-2008) – Mains au sol, 1979 – collection Nicole Canet

Rencontre avec Nicole Canet

Mais qui est cette femme qui édite chaque année un, voire deux livres, consacrés à l’art gay, à la nudité masculine, à la transidentité, à la prostitution, à travers des artistes peintres, illustrateurs ou photographes du 19ème siècle ou du début du 20ème siècle ? Car les Editions Galerie au Bonheur du Jour, c’est une seule personne : Nicole Canet. Elle maîtrise tout le processus. De la recherche des artistes du passé, l’achat de leurs œuvres, les recherches biographiques, la rédaction du livre, la mise en page méticuleuse du livre, le choix des fournisseurs, imprimeurs, infographistes. Elle s’occupe aussi de la diffusion : sélection de quelques libraires spécialisés dans les grandes capitales européenne. Même au delà, car les ouvrages de Nicole Canet ont aussi leurs fidèles lecteurs aux Etats-Unis ou au Canada.

Nicole Canet

Et Nicole Canet tient aussi une galerie d’art à Paris, la galerie Au Bonheur du Jour, 1 rue Chabanais dans le deuxième arrondissement à proximité du Palais Royal et du siège historique de la Bibliothèque Nationale de France. On peut évidemment y acheter aussi tous ses livres, ainsi que sur son site internet.

Homo-sensible plutôt qu’homo-érotique

Si Nicole Canet a ouvert sa galerie d’art à Paris en 1999, elle était déjà connue dans le monde des collectionneurs spécialisés dans l’art gay. Si la photographie ancienne l’a toujours passionnée, elle ne se limite pas seulement à la photo mais parfois aussi à l’art graphique, à la peinture, au dessin ou aux objets érotiques. Bien avant l’ouverture de sa galerie, Nicole Canet était une figure connue du Marché Dauphine à Saint-Ouen. Celle que l’on surnommait déjà « l’archiviste de la sociologie sexuelle à Paris » avait un don pour dénicher les photos rares et attirer les collectionneurs et passionnés de nus masculins et d’art « homo-sensible ». Elle préfère d’ailleurs cette expression « homo-sensible » à celle « d’homo-érotique ».

La découverte ou la remise à l’honneur d’artistes inconnus ou oubliés

De fils en aiguilles et au gré de ses relations avec les artistes et les collectionneurs, Nicole Canet a su tisser des liens de confiance car la place d’une femme n’est pas toujours évidente au sein du microcosme gay et artistique parisien. Aujourd’hui encore, plus qu’un homme, elle doit prouver chaque jour qu’elle a sa place dans ce milieu. Et sa renommée internationale en est la meilleure preuve. Et puis, sans elle, qui aurait découvert ou remis à l’honneur ces artistes comme Wilhelm von Gloeden, Guglielmo Plüschow, Vincenzo Galdi et tant d’autres ?

Oui Nicole Canet est une femme, mais du temps où elle était artiste de music-hall jusqu’à aujourd’hui, elle a toujours été entourée de garçons homosexuels. Elle aime leur complicité, leur amitié sans arrière pensée, leur sensibilité, leur humour et leur auto-dérision. Elle aime leurs modes de vie, leur liberté, leur combativité face à une société souvent hostile. Et si le milieu homosexuel parisien peut parfois faire preuve de réflexes qui s’apparentent à la misogynie, d’une manière générale les gays reconnaissent en Nicole Canet une amie sincère qui les comprend mieux que quiconque, qui est toujours disponible et sans attaches et qui peut parfois même devenir complice.

Nicole Canet
(Nicole Canet)

En tout cas elle a œuvré pour la visibilité homosexuelle bien avant la plupart des militants gays d’aujourd’hui qui oublient souvent le travail de défrichage que certains et certaines ont accompli lors des décennies passées et à qui on doit une part de notre liberté actuelle.

Une référence dans le monde de l’art gay

Aujourd’hui lorsque de grands musées nationaux ou internationaux envisagent une exposition sur le nu masculin ou l’art érotique gay, leur premier réflexe est de consulter Madame Canet, car si elle est galeriste, et vit donc de la vente de ses photos, elle est aussi un puits de savoir encyclopédique sur ces thèmes et n’hésite jamais à contribuer à la mise en lumière de ses collections pour qu’elles puissent être accessibles à un public plus large.

Aujourd’hui, après l’acquisition de collections complètes, la galerie de Nicole Canet est une véritable caverne d’ali-baba où les artistes connus côtoient aussi des auteurs totalement inconnus de tous et qui n’ont rien à envier aux plus grands noms de la photographie. En cela, on ne peut y trouver que des clichés originaux, souvent signés de leurs auteurs. A une époque où toutes les collections de photos sont numérisées et multipliées, voire pillées à l’infini sur les sites internet spécialisés, la véritable photo d’art vintage, tirée par le photographe, avec sa technique et sur son papier, est devenue un art presque anachronique auprès des nouvelles générations qui sont abreuvées de photos et de vidéos gratuites. A la Galerie Au Bonheur du Jour, vous ne pouvez acquérir que des photos uniques tirées le plus souvent à un seul exemplaire et que personne n’aura jamais vu.

Des photos interdites sur les réseaux sociaux

Autre différence avec les photos du net : aujourd’hui, les réseaux sociaux et les grands sites de photographie sont sous la tutelle d’algorithmes qui bannissent systématiquement toute représentation d’un sexe masculin ou d’un acte de tendresse entre deux hommes. Ces nouveaux censeurs ne font pas la différence entre la pornographie et les œuvres artistiques. Même le David de Michel-Ange est censuré sur ces sites. 90 % des photos du livre « Beautés Masculines » sont interdites sur facebook alors qu’aucune d’entre elles n’est pornographique. Cherchez l’erreur.

Des livres artistiques conçus artisanalement

La démarche de Nicole Canet est de même nature lorsqu’il s’agit de la conception d’un de ses livres. Comme un grand couturier va sélectionner son tissu en le touchant, le froissant, le regardant au soleil, le humant, notre galeriste-éditrice va choisir le papier de chacun de ses livres pour qu’il soit le mieux adapté aux photos présentées. Le grammage, le côté mat ou brillant, ou mieux, le couché satiné ? Couverture rigide avec pelliculage brillant ou aspect velours ? Elle va prendre le temps de sélectionner son papier, le tester, changer d’avis, re-tester… il va falloir que l’imprimeur réponde et fasse preuve de patience, car le sujet est primordial pour madame Canet.

Et il va en être de même pour tous ses prestataires. Elle va elle-même élaborer sa maquette pour chaque page « à l’ancienne », sur la table de dessin en insérant textes et photos, couleur du fond, largeur des marges, choix de la typo… et il va falloir que l’infographiste s’adapte et traduise tout cela en PAO (Publication Assistée par Ordinateur). Des mois de travail pour chaque livre. Beaucoup de stress, de nuits blanches car l’inspiration vient surtout la nuit, lorsque la galerie est fermée, et il faut que tout le monde réponde « présent » en temps réel…

De la patience…

De même pour les textes, madame Canet fait ses propres recherches historiques et écrit ses textes… mais elle fait aussi appel à des auteurs divers qui font partie aujourd’hui de son cercle d’amis… car il faut que le feeling passe.

Là aussi, chaque mot est soupesé, discuté, chaque texte fait l’objet de relectures. Et quand l’ensemble n’est pas satisfaisant, eh bien on recommence tout…

Oui il faut une patience infinie, une écoute sans faille, un égo mis entre parenthèses lorsqu’on est un partenaire ou un prestataire de Nicole Canet, et beaucoup ne traversent pas les épreuves… Seul un petit cercle restreint lui reste fidèle au cours des années mais rien n’est définitivement gagné. Il faut sans cesse se remettre en cause. Car madame Canet est une artiste… donc inattendue, imprévisible, exigeante et même autoritaire… mais elle finit toujours par trouver la note juste… et mettre tout le monde d’accord sur ses choix.

C’est pourquoi, chaque livre des Éditions Galerie Au Bonheur du Jour, est un objet artistique unique, toujours différent du précédent. Le tirage en est aussi volontairement limité, généralement à 800 exemplaires qui sont tous numérotés à la main…

Beautés Masculines – Photographies 1848-1990, Portraits et Nus

Pour ce dernier livre, Nicole Canet s’est assurée la participation de Florent Paudeleux pour la rédaction des textes. Amateur de littérature gay et lesbienne, Florent Paudeleux est aussi par ailleurs styliste… rien n’est un hasard. Et c’est le sixième livre de Nicole Canet auquel il participe. Du « sur mesure ».

Ce livre aborde les grandes thématiques du nu masculin à travers plus d’un siècle de photographies.

Les modèles d’atelier

Si les premiers clichés de nus masculins du XIXème siècle servent souvent de référence aux peintres et aux sculpteurs qui peuvent ainsi s’épargner les longues séances de pose, ils sont désérotisés et purement académiques.

Le corps nu est livré de manière crue mais sans sensualité. Le livre nous fait découvrir différents photographes du 19ème siècle, mais plus particulièrement Gaudencio Marconi dont les photographies servirent de matériaux pour le travail de peintres et de sculpteurs. Si les visages répondent à des canons de beautés révolus, les corps sont présentés en extension ou en mouvement. Le livre consacre aussi tout un chapitre au photographe Jean-Louis Igout, un habitué de la galerie Au Bonheur du Jour.

Les Allemands, précurseurs

A la fin du 19ème siècle et au début du 20ème siècle, c’est par des Allemands que la nudité masculine va être photographiée sous un autre angle. On y voit des garçons nus se livrant à la lutte ou à des jeux innocents mais tout cela reste encore assez prude.

Puis c’est la venue de photographes comme Wilhelm von Plüschow et de son cousin Wilhelm von Gloeden qui vont véritablement apporter une dimension homo-érotique ou homo-sensible à leurs photos qui mettent en scène des adolescents siciliens échangeant des gestes de tendresse ou s’offrant au photographe sans être dupes de l’émoi sexuel qu’ils vont provoquer.

Nicole Canet ayant déjà consacré plusieurs livres à ces photographes ainsi qu’à Lehnert et Landrock ou Vincenzo Galdi, modèle devenu photographe, ce livre n’y consacre que quelques pages.

Les années 30 en Allemagne

C’est en Allemagne que la conscience d’une communauté homosexuelle et du militantisme va aussi faire son apparition dans les années 1910, 1920 et 1930. La nudité virile de jeunes éphèbes blonds et musclés va être photographiée par une nouvelle génération d’artistes comme Adolf Brand, Kurt Reichert ou Bruno Wiehr qui peut aussi souligner parfois une touche de féminité dans ses modèles.

Les premiers photographes français « homo-sensibles »

Nicole Canet nous fait découvrir un photographe nommé Robert-Hubert Payelle (1891-1971) qui ne photographia qu’accessoirement quelques jeunes hommes en groupes et en caleçons blancs dans des paysages de Provence… Si leur nudité n’est pas totale, leurs poses suggestives et leur camaraderie laisse deviner la suite du scénario.

Hélas ses photos de corps masculins sont très rares car ses collections furent détruites à son décès. Nicole Canet en a sauvé quelques unes qu’elle partage dans ce livre.

Quant à son contemporain Renaud Icard, il ne cache rien. Ses modèles sont d’une étonnante actualité avec des physiques très proches des canons de la beauté actuelle alors qu’ils datent des années 30.

La nudité anglo-saxonne des années 50 et 60

C’est dans les années 50 que les premiers magazines culturistes anglais mais surtout américains vont faire leur apparition. Sous couvert de naturisme ou de culturisme, ils vont proposer des photos de jeunes hommes aux muscles saillants et à l’amitié virile. Mais ces magazines sont véritablement destinés aux homosexuels. Ils se les procurent par correspondance et se les échangent sous le manteau. Car l’époque n’est pas du tout à la représentation de l’homosexualité. Une note spéciale à George Quaintance et son magnifique modèle Stanley pris en photo au cours de son sommeil. Cette période est aussi illustrée par de nombreuses photos d’athlètes aux sexes souvent dissimulés par des strings plus ou moins pudiques. C’est la période de gloire des photographes Gregor Arax ou Bruce of Los Angeles.

La France dans les années 50 et 60

La mode des culturistes américains des années 50 va voir son expression en France avec le photographe Jean Ferrero. Il mettra en scène ses modèles dans les paysages de la Côte d’Azur. Mais Nicole Canet a aussi un faible pour Czanara. Il était avant tout illustrateur mais qui photographia quelques garçons musclés en extérieur dans des poses assez sensuelles.

Les Brésiliens de Konrad Helbig

C’est encore un allemand, Konrad Helbig, qui va photographier de jeunes siciliens. Puis il va découvrir le Brésil dans les années 60 avec ses garçons à la peau plus matte, voir même très colorée. Une nudité exotique qui a ses nombreux adeptes.

Après 1968, la nudité devient un art de vivre auprès de la jeunesse

La révolution sexuelle et les grands rassemblements hippies comme celui de Woodstock en 1969 vont promouvoir une vie plus proche de la nature. Ici la nudité n’est plus taboue, même si la nudité masculine reste encore un peu plus timide que celle des femmes. C’est le New-Yorkais Emil J. Cadoo qui va être le témoin de cette libéralisation des mœurs. Nicole Canet lui consacre un chapitre et nous fait découvrir ses plus belles photos de corps de garçons enlacés entre ombre et lumière.

Cadinot et la French Touch

On arrive dans les années 80. Des salles de cinéma spécialisées à Paris projettent les films d’un nouveau réalisateur : Jean Daniel Cadinot. Il réalisera plus de 80 films. Ils se vendront surtout sous forme de cassettes VHS qu’on pouvait se procurer dans les bons sex-shops.

Mais ce que l’on sait moins, c’est que Cadinot fut aussi photographe. Et cela n’échappa pas à madame Canet qui nous propose dans son livre une belle sélection de clichés en noir et blanc qui met en scène de beaux garçons aux cheveux longs. Cadinot disparaitra en 2008 mais nous laissera une œuvre riche et très homo-érotique.

Les photos intemporelles de Joseph Caprio et de Yves Paradis dans les années 80

Ces deux photographes français ont chacun leur univers mais ont pour point commun d’avoir été photographes attitrés de revues gay françaises des années 80 mais aussi de revues internationales. Et ils ont aussi la particularité d’être parmi les seuls auteurs contemporains exposés régulièrement à la Galerie Au Bonheur du Jour, même si Nicole Canet a une préférence pour leur travail en noir et blanc des années 80, dernière décennie qui intéresse notre archiviste de la sensualité homosexuelle masculine.

Vous pourrez découvrir dans « Beautés Masculines » les jeux d’ombre et de lumière de Joseph Caprio sur les corps sensuels et virils de ses modèles. Quant aux photos en noir et blanc de Yves Paradis, elles terminent cet ouvrage en bouquet final.

Cette présentation n’est pas exhaustive. Beaucoup d’autres artistes sont aussi à découvrir dans ce livre y compris des photographes anonymes dont le travail fut néanmoins remarquable.

A des époques où les selfies ou les smartphones n’existaient pas, seuls ceux qui pouvaient effectuer le tirage de leurs photos avaient la possibilité de photographier leur ami surpris en toute innocence dans l’intimité d’une chambre à coucher ou sur une plage déserte. Cet ouvrage nous ouvre l’album de ces photos privées.

Découvrir les photos rassemblées par Nicole Canet

Si vous n’êtes pas à Paris, la seule façon de se procurer le livre de Nicole Canet « Beautés Masculines » est de l’acheter sur son site internet sécurisé.

Sur ce site, vous pourrez d’ailleurs vous procurer aussi tous ses livres non épuisés. Attention, beaucoup de sites spécialisés dans la vente de livres proposent des livres anciens de Nicole Canet à des prix exorbitants en jouant sur leur rareté. La seule garantie de les acheter au prix le plus bas c’est de les acheter sur son site.

Vous trouverez sur ce site aussi des centaines de photos classées par auteur ou par thèmes. Ils sont toutes en vente à la galerie.

En dehors des expositions, la galerie n’est ouverte que sur rendez-vous.

La parution du livre « Beautés Masculines » fait l’objet d’une exposition à la Galerie jusqu’au 29 juillet 2023.

Galerie Au Bonheur du Jour
1 rue Chabanais
75002 Paris.
aubonheurdujour@curiositel.com
canet.nicole@orange.fr

Derniers articles

Lycée Paul-Cornu à Lisieux : un groupe LGBT+ face aux résistances institutionnelles

Des étudiants de Lisieux créent un groupe de parole LGBT+ pour lutter contre les discriminations, mais rencontrent des restrictions imposées par la direction de leur lycée.

Accusations de discrimination à Bayeux : une prestataire porte plainte contre une école catholique

Une prestataire accuse une école catholique de Bayeux de discrimination après la rupture de son contrat, liée à des vidéos sur sa bisexualité.

Derniers articles culture

Film La Sirène à Barbe, Dieppe s’illumine, les drag-queens en scène

L'évènement de l'année dans le cinéma LGBT Normand. La sortie du film La Sirène à Barbe. Un morceau de vie des drag queen, leur histoire, leurs amours.

Livre : Dîner à Montréal de Philippe Besson

L'identité est toujours un thème favori pour Philippe Besson, et sans doute la souffrance des souvenirs, pour ne pas oublier. A lire !

L’artiste Haus Of Bobbi dévoile sa pop mélancolique

Ne jamais se fier aux apparences. Haus Of Bobbi est un artiste talentueux à la voix douce et mélancolique. Et pourtant, il en impose avec sa carrure...

À lire ensuite

Abonnez-vous gratuitement à notre newsletter

Pour ne manquer aucun article de Gayviking et s'informer sur la sortie du magazine