Article publié en mai 2010
Voici une histoire d’aujourd’hui. C’est une passion amoureuse entre deux garçons venus s’installer en Normandie.
David et Jogger ont été soldats et ont participé à une guerre alors qu’ils avaient à peine vingt ans. Ils sont marqués au fer rouge. Pourtant ces deux hommes combattent quotidiennement, pour travailler, pour vivre, pour s’aimer, pour se faire admettre, reconnaître par la société d’une France tout juste capable d’accepter les différences.
Leur histoire est éternelle comme Roméo et Juliette. En grandissant, leur passion demeure, explose. Malgré les difficultés, malgré sa jalousie, Jogger défend bec et ongles son amour pour David. Ces deux anglais, francophiles et francophones, s’installent en Normandie. Mais la passion exacerbée de Jogger sape peu à peu ce bonheur d’apparence invulnérable. Elle le conduit au pire. Au gré de ses rencontres, David ne s’aperçoit pas de la peine ressentie par Jogger.
Jogger est un très beau roman. Rencontre avec son auteur, Francis Pizzato, marié, un enfant.. et normand :
GAYVIKING : Qu’est-ce qui vous a donné l’idée d’écrire cette histoire entre ces deux hommes ?
Francis Pizzato: « Je suis tombé par terre, c’est la faute à Voltaire, je suis tombé dans l’eau c’est la faute à Rousseau…. » fait dire Victor Hugo à Gavroche. Eh bien moi je pourrais dire que c’est la faute d’Annie Proulx si j’ai écrit cette histoire ! En effet en 2006 je suis tombé sous le charme, laissé baba par le film d’Ang Lee « Brokeback Mountain » et tout de suite j’ai voulu lire le roman. En fait de roman il ne s’agit que d’une toute petite nouvelle – 40 pages à peine – mais d’une telle intensité, d’une telle émotion ! Et je me suis dit très simplement, très naïvement aussi «moi aussi je veux écrire une histoire pareille ! » Si une femme a pu faire ça, je peux bien essayer aussi.
Cela dit, je suis tombé amoureux de cet écrivain. Au point d’acheter tout d’elle qui avait été édité en français. J’ai pas été déçu. A noter que « Brokeback Mountain » est le seul texte traitant de l’homosexualité de toute son œuvre.
Alors c’est vrai que cette jalousie maladive aurait pu être traitée avec comme protagonistes, deux femmes ou un couple hétéro mais comme je m’étais imposé comme item la guerre aux Falkland, je voulais qu’ils soient soldats et qu’il se passe quelque chose d’important entre eux pour la suite du roman. J’étais donc tenu de prendre deux mecs.
C’est vrai que j’ai eu quelques réserves à faire lire mon manuscrit à mon épouse, à mes amis. Aucun ne me sachant de connaissance particulière du monde gay ils ont forcément été surpris. Mais finalement séduit par le style et par l’histoire aussi.
Je vais être direct avec vous et peut-être choquer mais comment un hétéro peut-il être aussi sensible aux questions amoureuses entre deux garçons ?
Francis Pizzato: Vraiment je n’en sais pas grand chose ! Ce que je peux imaginer c’est que dans ce monde du 21ème siècle les mœurs ont quand même beaucoup changé. Même si des militants gays pensent que ce n’est pas encore assez, il y a du mieux pour cette communauté. Il se trouve aussi que mon épouse et moi sommes tolérants vis-à-vis des personnes qui n’ont pas les mêmes choix de vie. Je n’aime pas trop ce mot de « choix » d’ailleurs parce que je pense que ce n’en n’est pas un. « Ça » doit vous tomber dessus j’imagine et il n’y a plus qu’à faire avec !
Nous avons un fils encore ado et ce que nous nous sommes dit, tout simplement, c’est que s’il était gay, nous l’accepterions, tel qu’il est et que ça ne changerait rien à notre amour pour lui. Alors que je sois hétéro ou gay n’a vraiment aucune importance. Ce n’est pas la sensibilité de l’auteur qui doit l’emporter sur celle des héros. D’ailleurs, les auteurs de science-fiction sont-ils tous des aliens ? Et ceux de polars ? Sont-ils tous des assassins ? « Jogger ! » est une pure fiction basée sur des faits de société. Lorsque je travaillais encore, j’ai côtoyé quelques homos dans le milieu artistique. Je dois dire que j’ai appris à les respecter, justement parce qu’ils étaient autant respectables que quiconque. Gays ou non ! Je crois que l’amour est universel et ça ne me choque pas que des personnes du même sexe s’aiment.
Vous avez reçu ou cherché des conseils pour écrire Jogger ?
Francis Pizzato: Pour la musique vocale, je me suis servi de mes souvenirs de travail lorsque chez France Télécom j’étais chargé du mécénat. J’étais alors amené à recevoir les festivaliers qui souhaitaient obtenir des subventions de la Fondation France Télécom, et à étudier leurs dossiers. Et à cette occasion j’ai noué de nombreux contacts avec des responsables locaux importants de la Basse Normandie. Ils sont cités dans le livre d’ailleurs et je me suis carrément inspiré d’eux, de leur travail, pour donner des métiers à Jogger et à David. Sinon assez peu de conseils en quelque sorte.
Par rapport à mon style, faut dire qu’en 2008 j’avais été lauréat d’un concours littéraire organisé par le Comité pour l’Histoire de la Poste. Premier ex aequo pour une nouvelle autobiographique. Lorsque j’ai été à Paris pour y recevoir le prix, ces gens-là m’ont encouragé. Me disant même que « j’étais une fine plume » ! Ça m’a bien fait rire, ça m’a fait enfler les chevilles, mais ça m’a beaucoup stimulé et j’ai pensé qu’ils ne disaient pas n’importe quoi juste pour me faire plaisir mais parce que c’était vrai. Fort de ça je me suis mis au travail sur une histoire que j’avais déjà couci-couça dans la tête. Manquait plus qu’à la matérialiser sur mon pc.
Sinon en ce qui concerne le conflit argentino-anglais, je me suis documenté sur la toile. Pour la description des lieux en Angleterre ou en France je dois remercier Google Earth ! Sauf, sauf quand même, pour la Normandie, la Manche que je connais sur le bout des doigts et dont j’adore le Cotentin, la Hague. C’est d’ailleurs ma femme qui m’a fait connaître le coin. Elle y passait ses vacances toute petite. Et c’est tellement beau qu’elle n’a jamais pu l’oublier et nous y allons très souvent.
Comment votre famille a-t-elle réagit à ce roman ?
Francis Pizzato: Mais très bien je dois dire ! J’en ai été le premier étonné alors que j’étais un petit peu « dans me petits souliers ». Mon père qui a 82 ans, ma belle-mère 78, ont aimé mon style, n’ont eu aucune gêne à l’idée que j’avais écrit une histoire gay. Mon épouse a aimé l’histoire et les caractères des personnages. C’est vrai que c’est une histoire d’amour contrarié entre David et Jogger mais je ne suis pas mécontent des portraits de femmes que j’ai fait vivre autour d’eux comme Artémise et Roselyne ou encore comme les femmes de France 3. Je pense que le lecteur trouvera du plaisir à imaginer de tels caractères féminins. Quant à mes amis et amies les plus proches, ils ont tellement été surpris et si incroyablement positifs qu’ils ont été les premiers à me conseiller de faire éditer ce roman.
David restera toujours près de Dan même après ses actes horribles. On sent que cet amour, cette passion sont au cœur de votre roman. Pour vous, l’amour est-il plus fort que tout ?
Francis Pizzato: Oui, alors c’est un petit peu « gros » quand même ! Sans dévoiler le secret qui unit les deux hommes aux futurs lecteurs, je dois dire que David subit excessivement. Je ne suis pas certain qu’un homme, aujourd’hui, accepte de son compagnon ce que Dan lui inflige. Mais bon ! David n’a pas trop de choix, il est prisonnier de son passé, même du passé antérieur à la guerre des Falkland, lorsqu’il était sur les bancs de l’école avec Jogger et où leur passion a pris corps. Jogger c’est quasiment un autre poumon. Il ne peut pas respirer sans lui. Même si leur histoire est un amour sans bonheur, c’est la seule chose qu’il ait, il s’y accroche jusqu’au bout ! Seul l’enfant qu’il voulait, et qui finalement n’est pas son fils, pourra le libérer de l’emprise de Jogger. Effectivement il me semble que l’amour est plus fort que tout et peut venir à bout de tout. « L’amour est une force de la nature » comme il était écrit sur la bande annonce de « Brokeback Mountain » !
Le décor régional du roman était-il aussi important pour vous ?
Francis Pizzato: Je voulais pour la simplicité de mon travail d’écriture ne décrire que des lieux que je connaissais bien. C’est ainsi pour le Cotentin. L’Hérault et le Gard qui sont également évoqués sont aussi deux départements qui me sont particulièrement liés affectivement et qui sont rattachés à mes souvenirs de vacances que je passais enfant alors que j’habitais avec mes parents près de Toulouse.
Le Cotentin c’est mon épouse qui me l’a fait découvrir. Nous nous sommes rencontrés à Paris mais nous ne voulions pas y rester indéfiniment . Dès que nous avons pu nous nous sommes installés dans la préfecture bas-normande, nous rapprochant de sa famille issue du Domfrontais dans l’Orne. Nous avons la chance de vivre dans une très belle région. Nous avons des kilomètres de côtes, de verts pâturages (sans ironie, je préfère ça à l’aspect industrieux de la banlieue rouennaise), des collines, des paysages de montagne avec la Suisse Normande. Tout me plaît ici. Et le Cotentin est une région particulièrement belle, presque sauvage, presque intacte pourrais-je dire ! Pourquoi ne pas l’honorer dans un roman ?
D’autres romans en perspective avec la même thématique gay ?
Francis Pizzato: Eh bien pas dans l’immédiat ! Pas pour tout de suite. Je ne souhaite pas m’inscrire dans un cadre qui m’enfermerait de trop dans un genre. Actuellement j’ai entamé un manuscrit dont le thème est la séquestration perverse. L’idée m’est venue à l’écoute de ces faits divers étranges. J’ai du mal à imaginer que des gens « sans histoire » aux yeux de leur entourage parviennent à commettre des actes ignobles comme la séquestration d’un autre être humain et que personne ne s’en rende compte avant des années…. ou jamais ! Qui sait ? Bon alors je vais tâcher de ne pas plagier le fabuleux « Misery » de Stephen King mais mon histoire sera un peu dans la même veine.
Un dernier mot ?
Francis Pizzato: Faut savoir que « Jogger ! » n’est pas un roman militant. Je n’ai pas cherché à défendre la cause gay. Dans mon roman, contrairement à Annie Proulx qui installe Jack Twist et Ennis Del Mar autour des années 60 dans un Etat, le Wyoming, ultra rural pour pas dire arriéré d’une Amérique ultra puritaine et dans le milieu ultra macho des cow-boys, où les deux héros vont se battre pour survivre contre la société en général, mes héros à moi, sont affranchis de ça. Le temps a passé, les mœurs ont évolué, Jogger et David ne se cachent pas. Plus besoin. Leur histoire se déroule essentiellement dans les années 80, en Europe, et finalement ils ne se battent que contre eux-mêmes. Que l’on considère la jalousie comme un défaut détestable ou comme une vraie maladie d’amour, faut reconnaître que ni Jogger, ni David, ne se soucient pas beaucoup des autres gays, ni du qu’en-dira-t-on des hétéros qui les entourent, amis ou pas. « Jogger ! » reste une histoire d’amour. Point ! Et j’espère qu’elle plaira à tous, gays ou non gays.
JOGGER de Francis Pizzato aux Editions Bénévent
(disponible chez Amazon, Fnac, espace culture Leclerc sur commande).
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