D‘où vient-on ? Le genre humain a tendance à se poser des questions existentielles. Se souvenir tout simplement, pour comprendre, pour ne pas oublier. C’est connaître une histoire, notre histoire, celle de la Communauté gay et lesbienne. Et plus spécialement celle des gays et lesbiennes de Normandie.
Marc Devirnoy a réalisé un travail magnifique sur l’histoire LGBT régionale en France après des années de recherches. Il a autorisé Gayviking à piocher dans ses recherches sur la mémoire de notre région, la Normandie. Qu’il en soit vivement remercier.
Voici donc un petit aperçu de la vie gay et lesbienne en Normandie durant les années 1970 et 1980.
Les années 1970
Après la période de mai 1968, une décennie d’insouciance commence. Les gays et lesbiennes de France commencent à se mobiliser dans des structures politiques et réclament un changement de société pour les homosexuel(le)s.
En 1971, après le FHAR (Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire) qui agit essentiellement à Paris dans les manifestations, le GLH (Groupe de Libération Homosexuelle) prend sa suite. De petites unités, le plus souvent associatives, s’organisent en Province et bien entendu en Normandie. La Communauté LGBT du XXième siècle s’organise.
L’activité associative
A Rouen, un GLH se constitue en 1975, il organise des permanences les mercredis et édite un bimestriel, le « pourquoi pas ?« .
Au Havre et à Caen, un GLH se créé également avec un local et des permanences.
Il s’agira des seules associations homosexuelles dans la région Normandie. Le GLH réalise des rencontres et des discussions autour du ressentie de l’homosexualité dans la société. Ces groupes mènent aussi des actions tout en voulant offrir une alternative aux bars, boîtes spécialement gay afin d’éviter le « ghetto ».
Des actions de communication s’engagent. Des tracts sont distribués dans les rues piétonnes, les marchés et les facs. Les tracts provoquent : « Pourquoi avez-vous peur des homosexuels, pourquoi avez-vous peur de votre homosexualité ? ».
Des manifestes sont rédigés contre l’intolérance et la répression des homosexuels dans la région.
Les manifestes, les journaux du GLH…
Voici la reproduction d’un article du GLH de Rouen accompagné du tract distribué à l’époque dans les rues de Rouen et à l’Université.
Le GLH de Rouen se pose également une question : « Pourquoi si peu de filles dans le mouvement homosexuel ? Pour celles que nous avons rencontrées, elles se sentent d’abord opprimées en tant que femmes avant de l’être en tant que lesbienne ». Dans le noyau du groupe rouennais, une seule fille était présente au début de leur activité en 1976.
Par ailleurs, la condition féminine est souvent relevé dans les tracts, de même que la dénonciation de la domination masculine hétérosexuelle (déjà à l’époque).
Document exceptionnel à lire : manifeste du GLH de Rouen, tracts d’avril et mai 1976.(cliquez ici – document reconstitué, fichier un peu lourd – source : association Girofard (issu des mémoires LGBT à Bordeaux – autre reproduction info GLH Rouen janvier 1977 cliquez ici – format .pdf)
Du côté des établissements gays, au début des années 70, trois bars font leur apparition à Rouen, deux bars à Caen et un seul au Havre.
Ces lieux de rencontres et de convivialité sont une bouffée d’oxygène pour la communauté gay. Le plus souvent, pour se protéger, ces établissements ne sont pas ouverts à tout le monde, de peur des agressions homophobes, rarement sanctionnées à cette époque.
Les lieux sur Rouen
A Rouen, les homos ont le choix entre trois bars situés dans le quartier historique de la ville. « La Cigale« , « La Souricière » sont tous les deux situés rue des Bons Enfants. Le troisième bar, « Le Milord » est 5, rue Écuyère et propose une piste de danse.
Le Milord restera l’établissement phare de la vie gay à Rouen pendant les années 1970 et 1980. Trente ans après sa fermeture, au même emplacement, réapparaîtra un bar gay en 2011 : « L’acte – le bar des grands garçons » mais il fermera un an après son ouverture.
Dans la seconde moitié des années 70, une boîte gay ouvre rue de l’ancienne prison : « l’Aventure« .
En semaine, les homos se donnent rendez-vous dans deux autres discothèques : « le Club Louis XV« , rue Ecuyère et « La Pléïade« . Enfin, un nouveau bar vient concurrencer le Milord : « la Belle Epoque » place de Guillardbois.
Les lieux de drague entre homos se déroulent au Square Verdrel, du côté de l’Hôtel Dieu (actuelle Préfecture) et au sud de l’agglomération dans les allées du bois de St Etienne du Rouvray (proche parc expo). Finalement, ces lieux n’ont guère changé au fil des décennies (excepté pour l’Hôtel Dieu).
Sur Caen
La ville de Caen offre aux homos des années 70, deux bars : le « Drugstore Saint Pierre » et « les Touristes« , situés tous les deux sur le boulevard du Maréchal Leclerc.
Côté rencontre, on retrouve comme aujourd’hui les remparts du Château. Le quartier Vaugueux à la place devant l’Université et les Fossés St Julien sont aussi des lieux propices aux rencontres. La vie gay à Caen semble plus timide qu’à Rouen.
Ailleurs en Normandie
Au Havre, il n’y a qu’un seul bar : le « Welcome Bar » situé au 41 quai Georges V en bordure du bassin du Commerce.
A Dieppe, les homos vont au « Sea Club » un bar-discothèque et draguent dans les jardins de l’Hôtel de Ville.
Dans la Manche à Cherbourg, les bars de marins de la rue de la Soif constituent un repère pour les homos de la ville à cette époque.
Mais en dehors de Rouen et Caen, c’est Honfleur qui tire son épingle du jeu où de nombreux parisiens viennent y poser leur valise le temps d’un week-end.
Trois établissements y sont répertoriés : deux bars et un hôtel-restaurant. Le bar disco « Les Balladins« , place du Puits et « le Viking« (!) avec notamment une piste de danse. Enfin, un hôtel-restaurant « le Belvédère » est plutôt jugé gay-friendly à cette époque qui héberge des touristes gays.
Les années 1980
Le monde est en mutation économique et idéologique. L’arrivée au pouvoir de François Mitterrand bouscule les libertés. L’homosexualité n’est plus un délit dès 1982 mais le Sida est découvert en 1983…
Rouen
La vie associative sur Rouen s’enrichit. En novembre 1981, le premier centre gay et lesbien est inauguré en centre-ville près du square Verdrel à Rouen, 9 rue Morand. C’est une nouvelle association créée deux ans plus tôt, « Être et Connaître » issue du GLH des années 70, qui s’approprie le projet.
Le Centre LGBT à Rouen dénommé « Les Balcons » comprend un jardin intérieur, un salon-bar détente, une librairie, une salle de réunion pour toutes les associations LGBT de la ville. Quatre animateurs sont salariés et organisent des permanences. Hélas, sous la pression et les intimidations du propriétaires, Les Balcons seront contraints de fermer début 1983. Cette fermeture entrainera également la chute de l’association.
D’autres associations voient le jour : le GLH se transforme en Groupe Libertaire Homo, plus politique ; David et Jonathan, association LGBT Chrétienne; le GALN (Gai Association Loisirs Normandie); le GAGE (Groupe Achrien des Grandes Écoles).
Enfin, après la naissance de Aides au niveau nationale, l’association ouvre une antenne locale à Rouen dans le milieu des années 80.
Du côté des établissements gay, les discothèques gays sont importantes à Rouen notamment autour du quartier du Vieux-Marché, quartier central de la communauté gay de Rouen avec l’essentiel des commerces LGBT.
Le Milord, rue Écuyère, reste le lieu important des homos jusqu’à la fin des années 80.
Au 6 rue de l’Ancienne Prison, les enseignes se succèdent : après « L’aventure« , viendra « L’Alibi« , et le « Night On« .
Du côté des lesbienne, un café entre femmes se fait jour à Rouen en 1985 avec « Adèle Blanc Sec » au 26 rue St Vivien ouvert le soir en semaine.
Pour la drague, les lieux de rencontres demeure toujours au Square Verdrel, la forêt du Vouvray près du Novotel mais aussi le Jardin des Plantes, Place St Clément ou encore sur les quais de Seine (près du Pont Jeanne d’Arc et à hauteur du Bd Ferdinand de Lesseps).
Enfin, les gays normands pouvaient également se restaurer à la Gourmandine (236 rue Martainville) près de St Maclou, aujourd’hui le lieu fait place à un autre petit restau’ gayfriendly avec Eric du nom de la Voûte Musicale.
Le Havre
La communauté gay au Havre se développe dans les années 80. Même si au niveau associatif le GLH disparaît et qu’il n’y a plus d’association LGBT, la vie gay s’organise autour d’une succession d’établissements qu’ils soient gay ou gayfriendly comme le « Bistrot » avenue René Coty, « le Duplex » rue Victor Hugo ou « la Petite Brocante » rue Louis Brindeau un bistrot fréquenté à l’époque par des garçons efféminés. A noter également un bar spécifiquement gay : « le Ferry » situé place du Chillou.
Enfin côté rencontre, le bord de mer reste un endroit privilégié pour les homos : la promenade du Fort de Sanvic, les toilettes publiques de la plage.
Il faut aussi noter la plage naturiste sous le rocher de la Hève près de St Adresse. L’Internet grand public n’existait pas encore en cette période, la drague à l’extérieur était habituelle : rue Danton près de la prison, rue Jean-Jacques Rousseau ou le Cours de la République.
Caen – Deauville – Trouville…
A Caen, comme à Rouen, la vie associative se renforce.
Le GLH (Groupe de Libération Homosexuelle) a le vent en poupe et devient plus visible dans la cité.
Deux autres associations viennent en renfort : Gai Kid (groupement de loisirs pour jeunes homosexuels) et « Recherche et Différences » (42 rue Ecuyère). Cette dernière met en place un local associatif dénommé « Bilboquet« . Les permanents mettent en place un accueil pour les gays et lesbienne où un espace de restauration ainsi qu’une bibliothèques (3000 ouvrages), vidéothèque et des expositions sont mis en place.
En dehors de Caen, l’association LGBT Chrétienne, David & Jonathan, ouvre un groupe à Lisieux.
Les établissements gays sur Caen sont rares. Le centre de gravité de la communauté gay et lesbienne penchez vers la côté du côté de Deauville, Trouville.
A Caen, un bar gay de nuit existe dans les années 80 « La Poterne » (20, rue Porte au Berger) dans le quartier du Vaugueux puis viendra le « Paradis » au 12 rue d’Enfer à la fin de la décennie.
En effet, la vie gay et lesbienne s’est déplacée entre Ouistreham et Honfleur en passant par Deauville et Trouville. Au début de la décennie, c’est « le Mélody Club » (13 rue Albert Fracasse) qui s’impose à Deauville mais viendra « le Club 77 » (transformé plus tard en « Sun 7 » au 90 rue Eugène Colas).
Les soirées les plus gay avaient lieu le plus souvent le dimanche.
En 1988, une nouvelle discothèque très chic apparaît à Deauville, le « Club 94 » au 94 avenue de la République.
Pendant un temps, Fabrice Emaer, propriétaire du club parisien Le Palace, ouvre « Le Palace Cabourg » au début de la décennie mais cette expérience ne dura pas plus d’un an.
Autres lieux gays de l’époque…
– A Pont l’Evêque : la discothèque le Transfert route de Rouen
– A Honfleur : la boîte de nuit des années 70, Les Balladins, continue d’accueillir son public gay
– A Ouistreham, plus proche de Caen : les homos sont bien accueillis à la discothèque « Retro Beach »
– A Bernière-sur-Mer à l’est de Caen, un bar gay pour touristes l’été est ouvert du nom de « l’Ascot Bar »
– A Bayeux, les femmes pouvaient se retrouver entre elle dans le centre ville au bar « La Symphonie » (28 rue Alain Chartier)
– Près de Bayeux, au « Château de Goville » les propriétaires de l’époque organisaient des week-end gay conviviaux
Côté drague…
– A Tourville : les réjouissances se déroulaient dans les toilettes publiques derrière le Casino ou sur la jetée menant au phare
– A Caen : le Château reste toujours animé ainsi qu’autour de l’Eglise St Jean, la gare et le jardin de la place Royale
– A Lisieux : le jardin public, les toilettes de la mairie, la gare
– Et bien entendu les pages de sable naturiste toujours « en activité » comme Merville Franceville, Villers-sur-Mer
Ailleurs en Normandie
Très peu de commerce gay dans la Manche. Du côté de Cherbourg, les homos ont vu voir ouvrir un bar gay : « Le Melody » au 44 bis rue Asselin.
A Barfleur l »Hôtel Moderne » est référencé comme gayfriendly par les guides.
Les rencontres se font le plus souvent en extérieur : place Napoléon à Cherbourg ou bien l’Eglise Notre Dame à St-Lô.
A noter que les plages naturistes (et souvent gay) sont abondantes dans le département (et toujours en activité aujourd’hui) : Barneville Carteret, Pointe d’Agon-Coutainville, Bréhal… mais aussi les plages des Meuvaines à Asnelles, Vasteville à la Hague ou Breville près de Granville.
Dans l’Orne, chaque mercredi les homos de la région se donnent rendez-vous à la discothèque du Casino de Bagnoles de l’Orne « le Privé ». A Alençon les rencontre se déroulent au parc des promenades ou derrière l’église St Léonard, ou encore les toilettes du Palais.
Dans l’Eure et la Seine-Maritime, on notera l’existence…
– D’une restaurant discothèque « Les Pléïades » dans l’Eure à Hectomare où des travestis y jouaient
– La boîte de nuit « le Chelem » avenue de la gare à St Etienne du Vauvray était très gayfriendly
– A noter un restaurant gay-friendly à Fécamp : La Guenlardière au 13 rue Félix Faure
– Et toujours les plages de Seine-Maritime, toujours en activité : Varengéville à Petit-Ailly, plage du Tilleul à Etretat, plage du Tréport également à cette époque
Sources archives…
– Les archives, souvenirs personnels et témoignages recueillis par Marc Devirnoy du site Hexagone Gay.
– Guides Spartacus
– Les guides Incognito
– Guides Gai Pied
– La revue Gai Pied
– Le guide en Bleu de « Dialogues Homophiles »
– Archives du Centre LGBT Paris Ile-de-France.
et site d’archives du GLH de Bordeaux où l’on trouve des informations sur les GLH de Normandie.
Photos :
– 1ière photo : à titre d’illustration : juin 1982, manifestation à Paris (Truong-Ngoc – wikipedia)
– 2ième : GLH archives
– 3-5-7-9 : site Hexagone Gay
– 4-6 : inconnu