C‘était il y a trente ans. Les archives de la presse nous rappellent un tragique évènement. Dans la nuit du 10 au 11 août 1984 à Rouen, un couple homosexuel est torturé par leurs voisins. Une nuit d’horreur qui marquera à jamais leur vie. Récit d’une expédition punitive…
A l’été 1984, Daniel et Christian sont en couple depuis 15 ans. Le premier a 34 ans. Il est éboueur, employé de la ville de Rouen. Le second, Christian, a 44 ans, au chômage depuis 5 ans après avoir été brancardier. Ils habitent dans un petit deux pièces rue Georges-d’Amboise à l’ouest de la ville. De milieu ouvrier, ils sont loin des clichés gay de l’époque. Dans le quartier et leur immeuble, tout le monde savait qu’ils étaient homosexuels mais ils ne le revendiquaient pas.
Une nuit d’horreur
Le soir du vendredi 10 août 1984, trois voisins de l’immeuble organisent une petite fête. Ils ont 35, 25 et 23 ans. Christian et Daniel les connaissent bien. Leur soirée est bien arrosée… et aussi bruyante. Un voisin de l’immeuble excédé par les bruits téléphone à la police. En pleine nuit, les policiers arrivent sur place pour faire cesser le bruit et rétablir la tranquillité de l’immeuble.
Mais les trois hommes, ivres, sont furieux de cette descente de police et se demandent qui a appelé les flics. Ils finissent par trouver des boucs-émissaires : le couple homosexuel Daniel et Christian.
A trois heures du matin ils descendent les escaliers jusqu’au rez-de-chaussée en criant : « c’est les pédés, les enculés ! ». Les trois voisins surexcités frappent à la porte de l’appartement du couple. La nuit d’horreur commence…
« Nous étions en sang »
Christian, qui était endormi, est paniqué. Il ouvre la porte, il pensait que quelque chose de grave venait de se produire : « Ils m’ont attrapé, giflé et m’ont mis des cendres de cigarettes dans la bouche. Je n’y comprenais rien. »
Les agresseurs coupent la ligne de téléphone pour ne pas qu’ils préviennent la police. Christian raconte : « Ils avaient des bombes lacrymogènes et nous menaçaient avec. Ils nous donnaient des coups de casseroles sur les mains, sur le corps. Il fallait marcher sur les bibelots qu’ils avaient cassés. Nous étions en sang ».
La voisine du dessus entend les cris de Daniel et Christian ainsi que les conversations des agresseurs mais ni elle, ni les voisins n’alertent les secours.
Elle entendait : « On va lui couper la bite ! Va chercher le rasoir ! ».
L’humiliation continue… jusqu’au viol. Daniel, le plus jeune raconte : « ils voulaient savoir qui faisait l’homme, qui faisait la femme, alors ils nous ont sodomisés tous les deux ».
Les trois agresseurs utiliseront des morceaux de verre pour mutiler le corps de leurs victimes : visage, cou jusqu’au bas-ventre. Le pillage de l’appartement ne sera qu’accessoire face à la cruauté de la scène.
Humiliations et viol
Au petit jour, le samedi vers 8 heures, les trois tortionnaires sont fatigués et commencent à prendre conscience de la gravité de la situation.
Pendant près de 24 heures ils monteront la garde devant l’appartement de Daniel et Christian pour éviter qu’ils ne préviennent la police.
La fatigue aura raison des trois hommes qui abandonneront leur surveillance le lendemain. Le couple réussit à se traîner alors dans la rue jusqu’à la boulangerie du coin pour demander de l’aide et seront transportés à l’hôpital.
Le lundi, le beau frère de Christian ira porter plainte au poste de police de Rouen. Mais, étrangement, les trois agresseurs ne seront interpellés que le vendredi suivant.
Daniel et Christian, sur leur lit d’hôpital à l’Hôtel-Dieu, se remettront doucement de leur blessure. Daniel y restera quatre semaines. A la rue, ils ne pourront pas retrouver leur appartement, la police leur interdisant l’accès.
L’info diffusée sur la radio ‘Fréquence gaie‘ à Paris (radio FG aujourd’hui) mettra en émois des auditeurs et une collecte fut organisée pour les aider. Ils réussiront à récolter 5.000 francs de l’époque (762 euros).
Aucune circonstance atténuante
En janvier 1985, les trois agresseurs : Daniel Viard, Claudio Gelmi et Marin Gelmi sont jugés à Rouen. Les accusés manifestent leurs regrets et s’excusent auprès des victimes : « nous avions beaucoup bu ».
Le substitut du procureur de la République ne trouvera aucune circonstance atténuantes aux trois hommes déclarant : « il s’agit d’un cas de racisme anti-homosexuel ». Le terme « homophobie » est encore très peu utilisé par les institutions à cette époque.
Le tribunal condamnera Daniel Viard à trois ans de prison et les frères Gelmi à deux ans de prison ainsi que 6.000 francs de dommages réclamés par le couple Daniel et Christian (914 euros).
Il faudra attendre les lois de 2002 et 2004 pour qu’en France l’homophobie soit reconnue comme un véritable délit et aggrave les sanctions pénales.
Aujourd’hui en 2014, nous ne savons pas ce que sont devenus Daniel et Christian mais nul doute que cette nuit de cauchemar les aura marqués à vie.
Gayviking a reconstitué ce récit via des sources de presse comme l’hebdomadaire Gai Pied Hebdo (publications des 15 septembre 1984 et 9 février 1985 par Roland Surzur). Le magazine Gai Pied Hebdo était le magazine gay de l’époque, équivalent de Têtu aujourd’hui.