C’est une première pour Regnéville-sur-Mer (731 habitants) dans le centre de la Manche : une Marche des Fiertés s’y tiendra le dimanche 29 juin. À l’origine de cette initiative, quatre amies, bien décidées à créer un espace de célébration et de visibilité LGBT+ là où il n’en existe pas. Rencontre avec un collectif déterminé à faire résonner les fiertés jusque dans les campagnes normandes, un besoin vital de visibilité queer en milieu rural.
Gayviking : Pouvez-vous nous raconter comment est née l’idée d’organiser une Pride à Regnéville-sur-Mer ?
La rencontre entre nous quatre c’est le roller derby. C’est un peu la castagne qui nous a rassemblé donc, mais aussi les valeurs de ce sport liées à l’inclusivité, la diversité, l’intersectionnalité et la culture DIY (ndlr : faites-le par vous même). On a eu des discussions à propos d’évènements, Pride et Rollerdance, pendant ou après les entrainements, de manière informelle fin 2024, début 2025, au milieu des « hit » (coups portés légalement à un joueur ou une autre joueuse sur la piste ), de rires qui résonnent dans la salle de sport, de chutes, de bleus et de jeux.

Peut être que l’anecdote fondatrice est le 8 mars 2025, où Mae et Coco ont décidé d’aller au rassemblement pour la journée des droits des femmes de Coutances (organisé par l’association du Comité Manche droits des femmes) déguisé·e en vulves même si personne n’a reconnu le déguisement ; on a dû l’expliquer tant bien que mal.
Des coups, des rires et une idée : naissance d’une Pride…
Ce déguisement était aussi pour se rendre à la seconde partie de la journée : un carnaval à La Haye-du-Puits sur le thème » à table ». La petite bourgade de la Haye était en feu, la majorité des personnes, toutes générations confondues, avaient un déguisement maison, des légumes, fruits, plats géants, et avec un orchestre, une procession dans un système DJstif, avec une bataille de faux fruit/légumes en tissus…
C’est au détour d’une rue, en voyant l’organisation de ce carnaval, l’énergie déployée, une certaine magie a opéré au sein d’une petite ville voisine qu’on a commencé à réfléchir. Coco habite à Montmartin-sur-mer, avec Mae et s’entraînent souvent vers Regnéville-sur-mer qui est un petit endroit étonnamment actif avec des associations et lieux dynamiques comme la Bouine, la Petite Gare…
Créer du lien queer là où il n’y en a pas (encore)
Il y a tout ce qu’il faut dans le coin. Évidemment le roller derby a donné un ancrage en plus. habitant en ville, il manquait juste la culture et les évènements queer. En se posant cette question de nos besoins sur le territoire, on a eu l’idée de créer notre propre Pride, façon DIY dans le Roller Derby (fais-le toi-même). Il n’y pas de Pride sur le territoire à moins d’1h de route. On a ensuite proposé cette idée à notre groupe de Roller derby Coutances, et nos deux amies et coéquipières Cata et Nass ont adhéré à l’idée pour la co organisation.

Leurs expériences dans les milieux agricoles, artistiques, politiques du coin concordent : les personnes qui se sentent concernées par la lutte pour les droits LGBTQIA+ sont bien là mais ne sont pas connectées. Ces personnes manquent d’espaces d’expression pour se sentir en sécurité.
Gayviking : Pourquoi est-il important, selon vous, d’avoir une visibilité LGBT+ dans une petite commune rurale comme Regnéville ?
Il y a beaucoup de contextes qui créent du lien sur le littoral, mais pas de lieux ou de moments spécifiques pour les personnes LGBT+. C’est important de donner l’occasion aux personnes de ce territoire de se rassembler près de chez elles, qu’elles puissent aussi faire communauté, ne pas se sentir seules et isolées. On a l’habitude de devoir se déplacer dans les grande villes pour avoir accès à de tels événements. Cette fois ci c’est a deux pas de chez nous et on espère même attirer aussi les citadins dans nos campagnes !
Gayviking : Quel message principal souhaitez-vous faire passer à travers cette première Pride locale ?
Nous voulons simplement montrer que des personnes LGBTQIA+ vivent au bord de la mer, dans des champs, dans des camions et même dans des pavillons ! Que certaines amènent leurs enfants à l’école, que d’autres conduisent des tracteurs, font le marché, des cours de dessin…bref que le paysage humain est aussi riche et varié que le paysage du littoral, et que c’est une force et non pas une menace.

Gayviking : Y a-t-il une association avec vous ?
Pour l’instant, nous sommes une association de fait qui reçoit l’appui d’associations de droit : le Collectif Faire Ailleurs porte une partie de l’administration, Chauffer dans la Noirceur apporte un soutien logistique, la Petite Gare et la Bouine la connaissance du territoire…
Gayviking : Comment les habitant·es et les autorités locales ont-ils réagi à l’annonce de la Pride ?
Pour le moment, nous avons des réactions positives de la part des habitant·e·s lors des dépôts d’affiches et lors d’échanges. Les personnes trouvent notre affiche super.
Pour les autorités locales c’est vraiment une autre histoire…
Nous avions avisé un chouette bar où nous allons souvent après le marché du dimanche matin près de la mer, et il était d’accord de nous accueillir pour les concerts, mais nous avons eu des difficultés à obtenir l’accord de la mairie concernée. Nous n’avons pas eu actuellement de réponses de cette mairie alors que cela fait deux mois et demi que nous avons envoyé notre premier courrier.
Nous avons donc décidé début mai, après avoir mariné un moment, de changer le lieu pour une commune plus accueillante, à savoir Regnéville-sur-mer. Nous avons eu une réponse en 24h, des échanges pour adapter la marche à la ville etc. On s’est senti soutenu·e·s à partir de ce moment là.
Gayviking : Quelles seront les particularités de cette Pride par rapport aux grandes marches organisées dans les grandes villes ?
Nous longerons la baie avec vue sur les dunes, la pointe d’Agon, le château et peut-être sur quelques phoques flânants, et puis nous garderons cette vue incroyable tout le long de la soirée puisque la Petite Gare donne aussi vue sur mer…

De plus , autre originalité, le défilé pourra se faire sur roulettes, en skate, en roller, vélo, en fauteuil etc… petit hommage à notre sport favori, le roller derby.
Enfin, au niveau de l’organisation, un accent sera aussi mis sur la parole des personnes LGBTQIA+ dans le milieu agricole, puisque plusieurs organisateurs et organisatrices en font partie et que nous vivons dans un territoire fortement rural.
Gayviking : Qu’attendez-vous concrètement de cette première édition : en termes de participation, d’impact, ou de retombées ?
Nous espérons voir et revoir des personnes concernées, des allié·e·s, des personnes en questionnement et que tout ce petit monde échange, se rencontre et se comprenne. Nous attendons une centaine de personnes le jour J. Mais nous prévoyons aussi des moments en plus petit comité (le 1er, le 8 juin et le 22 juin) pour la préparation de cette pride. Toutes les étapes de cette pride ont un impact. Tout cela créé de la discussion: on la prépare, on la vit et on l’a racontera ensuite !
Gayviking : La Pride de Regnéville est-elle pensée comme un événement unique ou souhaitez-vous l’inscrire dans la durée ?
Nous aimerions que ce rendez-vous devienne incontournable pour les gens du coin et même des gens d’un peu plus loin car il n’y a pas d’autre Marche des Fiertés à 100km à la ronde. Si c’est humainement et financièrement possible, nous le reconduirons tous les ans à la même période, mais peut-être pas exactement dans le même lieu par souci d’équité.
Pour aller plus loin
La Pride à Regnéville-sur-Mer aura lieu le dimanche 29 juin à 15h.
Suivez les infos de l’évènement sur les réseaux sociaux : instagram et facebook avec la préparation de la Marche des Fiertés et différents ateliers (Atelier King, création de pancartes à St-Lô et Coutances…).
Comme c’est une première édition, les financements ne sont pas toujours évidents, aussi, il existe une gagnotte en ligne ici.
Vous pouvez aussi devenir bénévole avec toute l’équipe (lien ici).