Stéphane Aurousseau est le fondateur de l’association LGBT+ Couleurs Gaies à Metz en 1999. Il intervient très souvent en milieu scolaire. Son expérience de terrain lui a permis de développer une réflexion et différentes approches sur la pratique de la laïcité. Son ouvrage « Promouvoir la laïcité (en milieu hostile) » aborde sans tabou l’homophobie grandissante dans les lycées et collèges de banlieue de par le rejet de la laïcité. Le sujet est évidemment délicat car il aborde politique et religion mais il est abordé de manière très pragmatique par l’auteur. Découverte…
Ce livre permet d’avoir une approche de terrain de la perception de la laïcité dans les lycées et collèges en 2023 et de savoir comment la jeunesse d’aujourd’hui s’engage contre les discriminations.
Durant des décennies, la laïcité républicaine a permis de lutter contre les discriminations liées à l’origine ethnique, l’appartenance religieuse, le genre ou l’orientation sexuelle. Or aujourd’hui certaines populations, certains partis politiques, certains mouvements considèrent que la laïcité est au contraire, un principe discriminant et xénophobe.
Par ailleurs, à travers le prisme des réseaux sociaux, on sent une radicalisation des idées, une perte totale du sens de la nuance, une montée de l’intolérance et une fissure de plus en plus large dans la cohésion sociale. Les derniers événements qui ont bousculé récemment ce qu’on appelle « les quartiers » en sont une des manifestations…
Stéphane Aurousseau, l’expérience d’un homme de terrain
Chacun peut avoir son opinion sur les causes de la montée de l’intolérance et de la violence, en particulier auprès de la jeunesse. D’une extrémité à l’autre de l’échiquier politique chaque parti a désormais ses certitudes et ses solutions miracles pour lutter contre « la fracture sociale ». Mais peu d’entre nous peuvent avoir une analyse objective et une bonne compréhension de la situation.
Stéphane Aurousseau a été le fondateur de l’association Couleurs Gaies à Metz, association de lutte contre les discriminations LGBTI+ créée en 1999. Depuis 2010 il parcourt tous les lycées et collèges de Lorraine pour déconstruire les stéréotypes sexistes et LGBTphobes. Depuis 2016, il a rajouté aussi à ses objectifs la lutte contre la xénophobie, la promotion de la liberté de conscience et la laïcité. Il intervient dans les classes pour sensibiliser les élèves contre les dangers de la discrimination qui peut parfois se transformer en harcèlement. Il intervient aussi, toujours bénévolement, par des actions de formation auprès des enseignants, des animateurs et travailleurs sociaux.
Dès l’introduction de son livre, il ne fait aucun mystère de ses engagements politiques à gauche, du milieu dans lequel il a évolué et désamorce tous les raccourcis qui pourraient le classer automatiquement dans le clan des « gauchos » ou dans celui des « fachos ».
Du courage pour défendre la laïcité
Il joue carte sur table et préfère parler de son expérience de terrain, en donnant la parole aux jeunes qu’il a côtoyé durant plus de 13 ans. Et en 13 ans il a rencontré plus de 15000 élèves et plus particulièrement dans ce qu’on appelle pudiquement des « établissements difficiles » et dans des villes parmi les plus sinistrées de notre pays au fin fond d’une Lorraine rescapée de la crise de la sidérurgie où les populations issues de l’immigration sont majoritaires et où les perspectives d’avenir sont encore un horizon parfois lointain et incertain.
Au delà du courage qu’il faut pour défendre la laïcité et sensibiliser la jeunesse de ces quartiers contre les discriminations homophobes, entre autres, cette expérience lui donne toute la légitimité pour parler de la jeunesse et des sujets qui gangrènent notre société actuellement. Et il le fait en prenant de la hauteur face aux polémiques idéologiques et aux postures identitaires.
Une France coupée en trois
Même s’il répète à plusieurs reprises que ses observations et constats n’ont pas de prétention de statistique, on ne peut pas s’empêcher de faire très vite le parallèle entre le comportement des élèves qu’il a rencontré et l’état de l’opinion publique actuelle dans notre pays mais aussi dans tous les pays occidentaux. En schématisant : une majorité silencieuse prise en tenaille entre une minorité qui exprime une xénophobie décomplexée, notamment à l’égard des musulmans, et une autre minorité qui justifie l’injustifiable au nom du respect des religions.
Stéphane Aurousseau constate d’ailleurs que les attentats de 2015 mais aussi l’odieux assassinat du professeur Samuel Paty en 2020 ont largement contribué à exacerber les tensions dans le pays. A ces événements se rajoutent régulièrement des actualités qui enflamment les réseaux sociaux comme « l’affaire Mila », « le crop top de Benjamin » ou « le concert annulé de Bilal Hassani » qui attisent autant la haine contre les personnes LGBT que celle contre les musulmans.
Le difficile positionnement des militants LGBT
La radicalité des jeunes qui disent défendre les valeurs de l’Islam entraine aussi une radicalité et un racisme montant y compris parmi les gays qui voient leurs acquis sociaux obtenus difficilement, menacés par un fanatisme religieux qui s’exprime avec violence.
A l’inverse, beaucoup d’associations LGBT qui se sont battues durant toute leur existence pour la lutte contre les discriminations, semblent dominées par une minorité agissante qui s’inscrit dans les mouvances d’extrême gauche. Elles se trompent de combat en considérant que toute critique de la religion est assimilée à du racisme. Alors que par le passé, elles avaient clairement combattu une extrême droite catholique et homophobe, elles semblent aujourd’hui justifier et défendre les aspirations identitaires de jeunes qui se revendiquent de la religion musulmane ou qui l’instrumentalisent, et cela au nom de la lutte contre le racisme, voire contre le néo-colonialisme.
Entre un racisme grandissant de certains gays qui n’hésitent plus à rejoindre l’extrême droite et une politique de l’autruche de certains militants LGBT positionnés à l’extrême gauche, le chemin est difficile à tracer dans une société qui n’accepte plus la nuance et des réseaux sociaux qui jettent de l’huile sur le feu.
La réappropriation du concept de laïcité
Aujourd’hui la laïcité est perçue par certains comme un dispositif oppressif à l’égard des minorités, en leur interdisant toute visibilité ostensible en particulier dans les établissements d’enseignement publics. La loi de 1905, dans son article premier, réaffirme la liberté de conscience et la liberté de culte. Et si les tenues et signes religieux sont autorisés dans l’espace public, ils sont interdits dans les écoles, les collèges et les lycées. Les dérives identitaires manifestées au début des années 2000 ont même conduit le législateur à réaffirmer cette interdiction dans les établissements scolaires par la loi de 2004.
La liberté de croire mais aussi la liberté de ne pas croire (qu’on oublie souvent de citer) doivent rester des valeurs de notre République. Mais cela ne doit pas empêcher aussi la liberté de critiquer les religions et d’avoir une approche objective de l’histoire des religions dans nos sociétés. Et lorsque les religions, dans leur dimension politique et psychosociale, énoncent des dogmes, des prescriptions morales et des interdits qu’elles veulent imposer à l’ensemble de la société, la République se doit de réaffirmer inlassablement mais fermement ses valeurs qui sont le seul ciment intercommunautaire, la seule solution pour le bien vivre ensemble. Et si la France semble un peu isolée avec ce principe de laïcité, cela s’explique en grande partie par son histoire qui a été marquée par les conflits politico-religieux.
Comment promouvoir la laïcité concrètement
Stéphane Aurousseau ne se contente pas de faire un constat mais il propose aussi des solutions concrètes. Dans la dernière partie de son livre, il propose des outils et une méthode concrète pour promouvoir la laïcité « en milieu hostile ».
Si cette partie s’adresse essentiellement aux enseignants, formateurs et intervenants auprès de la jeunesse, elle permet néanmoins de dessiner un chemin de sortie devant une situation qui pourrait paraître sans issue. Il a expérimenté lui-même cette méthode concrètement et même si rien n’est jamais gagné d’avance, elle permet de ne pas rester sclérosé et impuissant devant la montée de l’intolérance et de l’extrémisme religieux.
Un ouvrage indispensable
Cet ouvrage est indispensable pour tous ceux qui veulent avoir une piste de réflexion dépouillée de toutes les polémiques stériles, des discours des partis politiques, des postures identitaires et des idées toutes faites dans lesquelles la nuance n’est plus permise.
Même si son constat dépasse ce que l’on craignait sur l’état d’une partie notre jeunesse, ce livre permet aussi d’avoir des solutions qui mériteraient d’être analysées au lendemain d’un énième changement de ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Et l’avenir de notre société se joue à l’école. Cela chacun l’aura compris.
Livre : Promouvoir la laïcité (en milieu hostile), une notion indispensable pour lutter contre les discriminations de Stéphane Aurousseau
Collection « Point d’exclamation » (16,00€ TTC)