(article publié le 7 octobre 2014)
Le grand ouest de la France a désormais une antenne d’action pour agir face à l’isolement des jeunes. C’est au Havre en Normandie que Le Refuge a décidé de s’installer pour se déployer sur le grand ouest notamment en Normandie, Bretagne, Picardie. Le Refuge est la seule structure en France à proposer un hébergement temporaire et un accompagnement social aux jeunes majeurs victimes d’homophobie ou de transphobie. Il n’est jamais facile de trouver de sérieux bénévoles pour prendre à bras le corps un tel projet. L’association nationale Le Refuge (basée à Montpellier) a fait confiance à Vincent sur le Havre pour mener à bien un beau projet fédérateur. En quoi consiste le travail du Refuge ? Que va-t’il se passer ? Comment aider ? Rencontre avec Vincent qui nous expose son engagement et les actions du Refuge.
GAYVIKING : Quel est ton parcours ? As-tu déjà milité dans le monde LGBT, est-ce une première ?
Vincent : Tout d’abord je veux remercier GAYVIKING de l’intérêt porté au projet d’implantation d’une antenne de l’association nationale Le Refuge au Havre. Le conseil d’administration du Refuge m’a désigné, le 23 septembre dernier, coordinateur du projet. Je n’en tire aucun honneur personnel, sinon le plaisir de la confiance qui m’est accordée pour mener à bien ce dossier. Lorsqu’on s’investit dans la vie associative, les satisfactions ne viennent pas de nos projets mais de nos succès. Le jour où l’équipe du Havre sera totalement opérationnelle pour accueillir et apporter son soutien aux jeunes en souffrance, nous pourrons dire que nous avons eu raison de nous engager. Je pense autrement plus intéressant de parler de l’association et du projet, que de parler de moi. Les bénévoles dans les associations ont vocation à se succéder, à s’épauler, à marcher dans le sens d’un même intérêt commun.
Pour répondre brièvement, j’ai 46 ans, je suis salarié dans une grande entreprise, et je vis avec mon conjoint une belle histoire depuis bientôt 10 ans. Je connais assez bien la vie associative. Dans ma vie professionnelle, j’ai bénéficié d’une certaine expérience de coordination d’équipe, de projets, mais aussi dans le domaine de la communication. J’ai un peu fréquenté les bars gays de ma ville il y a quelques années, et je garde un merveilleux souvenir des moments passés au sein de la communauté gay. J’y ai connu des personnes extraordinaires avec qui j’ai gardé contact. Je n’ai jamais été militant dans le monde LGBT.
GAYVIKING : En quoi consiste le travail de l’association Le Refuge ?
Vincent : Créé il y a 11 ans par Nicolas Noguier, Président, Le Refuge commence à bénéficier d’une meilleure visibilité. Cependant, si le nom commence à résonner en nous comme une structure liée au milieu LGBT, je m’aperçois que peu en connaissent exactement les missions.
Le Refuge est aujourd’hui la seule structure française conventionnée par l’Etat qui propose aux jeunes majeurs (18/25 ans) victimes d’homophobie ou de trans phobie, un hébergement temporaire, un accompagnement social, psychologique, médical ou juridique. En 2013, 330 jeunes ont bénéficié d’un suivi et 220 d’entre eux ont pu être hébergés avec l’aide du Refuge. Cette période de prise en charge permet au jeune, le plus souvent expulsé par ses parents, de bénéficier d’une période de retrait, de pause, pour se reconstruire et envisager sereinement son avenir. Il est temporairement à l’abri du besoin. Dans certains cas, le jeune souhaite tenter de se rapprocher de sa famille. Des contacts sont établis avec ses proches et nous faisons appel à une médiatrice familiale. Dans d’autres cas, la rupture est inévitable et nous aidons alors le jeune à rechercher un travail et un logement.
GAYVIKING : Pourquoi s’investir dans cette association nationale et pas une autre ?
Vincent : Toutes les associations visant à aider les autres lorsqu’ils sont en difficulté ont leur importance. Elles ont une expérience du terrain associatif local qui me manque encore. Je serai d’ailleurs heureux de pouvoir établir des contacts avec les associations locales ou nationales déjà constituées, car on avance toujours plus vite quand on se donne la main. L’appel est lancé et je vous remercie de le relayer.
Pour ce qui me concerne, pourquoi me suis-je engagé dans cette association plutôt qu’une autre ? C’est un peu le destin qui m’y a conduit. Depuis plusieurs mois, je suivais occasionnellement l’activité du Refuge et je m’étais promis de faire un don pour aider l’association. Pendant mes vacances, je découvre dans la presse un drame qui a accéléré ma prise de décision. Un jeune garçon avait été pris en charge par Le Refuge. Il vivait une pression de plus en plus forte au sein de sa famille très « traditionnelle ». Ses parents envisageaient même de faire appel à un prêtre exorciste pour tenter de le soigner de son homosexualité. Il a été pris en charge par Le Refuge. Il avait trouvé un travail au sein d’un club de vacances qui semblait lui plaire. On l’a retrouvé mort au pied d’un pont dans la région où il travaillait. Ce jour-là, j’ai compris que Le Refuge pouvait tenter de donner le meilleur, mais qu’ils ont besoin de soutien pour aller encore plus loin. J’ai contacté le Président du Refuge et nous nous sommes rencontrés quelques jours plus tard. Vous connaissez la suite.
A ce jour, je suis heureux de constater que je me suis engagé au sein d’une association très sérieuse, disposant d’un siège à Montpellier, de 12 salariés, de 7 délégations en France et sur l’ile de la Réunion, de 6 antennes, et d’une multitude de projets passionnants. A chaque fois que j’ai besoin d’un conseil, je reçois une réponse très sérieuse dans les minutes qui suivent. C’est pour moi un investissement bénévole au sein d’une structure très « professionnelle ».
GAYVIKING : Pourquoi Le Refuge met un pied au Havre ? Comment vont se dérouler les étapes de cette implantation ?
Vincent : Il suffit de regarder une carte de l’implantation des délégations et antennes du Refuge pour comprendre qu’il y a un réel besoin. Je vous laisse tracer dans votre imaginaire une ligne Bordeaux / Paris / Lille. A l’ouest de cette ligne, Le Refuge ne dispose d’aucune implantation. Cela ne signifie pas qu’il n’y a aucune jeune victime dans cette région. Cela montre seulement que Le Refuge a encore besoin d’étoffer son réseau sur le territoire, pour être beaucoup plus présent auprès des jeunes qui ont malheureusement besoin de nous appeler.
Le Havre a été une opportunité car le député-maire du Havre avait proposé un rendez-vous au Président du Refuge. Nous attendons maintenant de voir les soutiens que nous pourrons obtenir pour mener à bien ce projet.
Pour ce qui concerne les étapes de la construction, elles sont très simples. La première étape est franchie par l’accord du conseil d’administration de lancer officiellement un projet d’antenne au Havre. C’est à ce titre que j’ai été nommé coordinateur. La seconde étape va être la plus longue puisque je dois maintenant constituer un projet. Je vais pour cela devoir travailler sur plusieurs fronts à la fois. La priorité est de constituer un réseau de bénévoles prêts à s’investir. Parallèlement, il nous faut constituer tout un réseau de relations, dans beaucoup de domaines (prise en charge sociale, psychologique, hébergement, financements locaux, aide à la recherche d’emploi, aide à la recherche de logement… la liste serait trop longue). C’est au terme de cette étude que le conseil d’administration du Refuge officialisera l’ouverture officielle d’une antenne au Havre. J’attire cependant votre attention sur le fait que c’est à partir d’aujourd’hui que le projet se construit. Nous avons besoin de tous, dès aujourd’hui.
GAYVIKING : En quoi le soutien des élus locaux est-il si important ?
Vincent : Le Refuge a été reconnu d’utilité publique par un décret datant du 16 août 2011. A ce titre, je pense qu’un tel projet a vocation à être porté par tous les élus. Ils peuvent nous apporter un soutien important pour mener à bien l’implantation d’une antenne. Leur connaissance des réalités locales, leur soutien pour accroitre la communication, leur réseau relationnel, sont notamment des éléments importants pour une association comme Le Refuge.
Notre association est évidemment apolitique. Quand un jeune appelle, la question n’est pas de savoir s’il est de droite ou de gauche, s’il est du Havre, d’Yvetot ou de Fécamp. Nous sommes seulement en face d’un jeune en situation de détresse qui a besoin d’une solution rapide et efficace. Pour cette raison, je suis intimement convaincu que nous n’avons pas seulement besoin du soutien des élus des grandes villes, mais aussi des petites communes. Peut-être que cela pourrait passer par un soutien des communautés d’agglomérations ? Je vais travailler également dans ce sens.
GAYVIKING : Comment le public peut contribuer à cette réussite ?
Vincent : Un projet comme celui-ci nécessite d’être porté par de nombreux acteurs. Nous avons évoqué précédemment l’aide que peuvent nous apporter les élus. Nous aurons également besoin de partenariat avec d’autres associations, dans de très nombreux domaines (social, prévention du suicide, intégration des jeunes, prise en charge psychologique, hébergement…). Nous espérons que les associations LGBT seront à nos côtés. Elles connaissent déjà leurs membres, dont certains se sentent probablement impliqués par la cause que nous défendons. Nous allons avoir besoin de créer un noyau solide de bénévoles motivés. Notre association est amenée à prendre en charge des jeunes qui traversent une période très difficile de leur vie. Certains ont été expulsés par leur famille, se retrouvent à la rue sans aucun revenu. Les bénévoles seront présents pour leur apporter de l’écoute, de l’espoir, les aider à se reconstruire et à avancer dans la vie. Lorsque je lis les témoignages des jeunes qui ont été aidés par Le Refuge, je réalise à quel point l’accueil chaleureux qu’ils ont reçu a contribué à les mettre en confiance. Nous ne remplacerons jamais leur famille, mais nous pouvons leur permettre de passer un moment serein et agréable avec nos bénévoles. Nous veillerons à organiser des sorties, à nous rencontrer régulièrement dans des endroits conviviaux, à dîner parfois ensemble, à fêter des anniversaires. Vous pouvez imaginer qu’avec un tel projet, les bénévoles seront tous les bienvenus. Les uns pourront contribuer à l’implantation et au développement du Refuge, pendant que d’autres prépareront un picnic, une sortie en rollers, ou une soirée au cinéma.
GAYVIKING : Est-ce qu’il y a beaucoup de demandes et de détresse de la part des jeunes, et notamment en Normandie ?
Vincent : Mon rêve est qu’un jour, le Refuge n’ait plus besoin d’exister. Il est triste de voir que des personnes se trouvent rejetées parce qu’elles sont différentes. Différentes de qui ? Différentes par rapport à quel critère? Les discriminations existent dans tous les domaines. Nous sommes tous l’étranger de quelqu’un. Nous sommes tous différents, et c’est précisément ce qui est beau et intéressant sur cette terre. Apprenons à nous accepter, à nous connaitre, et à vivre ensemble. Les appels sur la ligne d’urgence ne cessent d’augmenter depuis quelques années, avec une véritable explosion en 2012 et en 2013. Pour vous donner une idée de l’évolution exponentielle des demandes, je vous communique quelques chiffres. 2010 : 337 demandes – 2012 : 930 demandes – 2013 : 1159 demandes.
Pour ce qui concerne la situation en Normandie, je ne suis malheureusement pas en mesure de vous communiquer de chiffres car Le Refuge est actuellement encore très absent dans le nord-ouest de la France. Je ne doute pas que nous allons y remédier très vite. Je suis en train d’étudier les statistiques des régions où le Refuge est présent pour évaluer le nombre de prises en charges que nous serons amenés à gérer au Havre. Je suis conscient que des jeunes originaires d’autres villes de Bretagne, Picardie ou Normandie pourront être orientés vers notre antenne havraise.
GAYVIKING : Le débat sur le mariage pour tous a t’il décomplexé la parole homophobe ? Le ressentez-vous au Refuge ?
Vincent : Le Refuge n’a pas vocation à prendre part dans le débat pour le mariage pour tous. Cela ne fait en aucun cas partie des missions de notre association. Comme tous les grands débats de société, cela a provoqué un clivage entre ceux qui y étaient favorables et ceux qui y étaient opposés. C’est une chance extraordinaire de pouvoir vivre dans un pays démocratique et de pouvoir prendre position. Les sondages montrent aujourd’hui qu’une majorité des français a très bien accepté le mariage pour tous, et ne souhaiterait pas qu’il soit remis en cause.
Nous avons néanmoins constaté que ce débat a donné lieu à la naissance de mouvements et de grandes manifestations. Il est indéniable que ces organisations ont très largement contribué à développer et banaliser des propos homophobes. Ne soyons pas dupes. Ils sont très bien structurés, notamment dans le domaine de la communication. Ils savent la plupart du temps surfer sur la crête de la vague, en jouant sur des propos ambigus, tout en évitant de tomber dans des propos homophobes qui pourraient entrainer des poursuites judiciaires. Les foules qui les soutiennent ne font pas souvent preuve du même discernement. Est-ce que nous le ressentons au Refuge ? Il n’y a qu’à regarder l’évolution spectaculaire des appels de détresse reçus par notre ligne d’urgence en 2012 et 2013. Ne sont-ils pas suffisamment clairs ? La semaine dernière, nous avons reçu un appel d’un jeune de 17 ans, homosexuel. Ses parents l’obligeaient à participer à nouveau à la Manif pour Tous qui a eu lieu le 5 octobre. J’imagine qu’il a dû passer sa journée à penser à son petit ami, avec qui il est obligé d’avoir une relation secrète. Nous avons reçu d’autres messages très poignants, comportant notamment des idées suicidaires à l’approche de cette manifestation. Je ne peux pas tous les partager ici, mais nous en parlons régulièrement sur les réseaux sociaux.
GAYVIKING : Un dernier mot que tu aimerais ajouter ?
Vincent : L’année dernière, Le Refuge a pris en charge 1159 jeunes. 202 ont été hébergés, et 824 ont été suivi à distance. Cela implique bien évidemment des coûts importants, notamment pour payer les logements, les repas, et toutes les démarches qui sont engagées. Compte-tenu de l’augmentation exceptionnelle des appels sur notre ligne d’urgence depuis 2 ans, nous avons besoin de faire appel aux dons. Je compte sur vous pour faire preuve de générosité, et rappelle que vos dons sont déductibles d’impôts. Pour simplifier, si vous donnez 100 euros, cela vous coûte réellement environ 33 euros après déduction fiscale. Je lance cet appel aux particuliers, mais aussi aux entreprises.
Je profite également pour rappeler aux élus et collectivités locales que nous avons besoin de l’aide de tous. Les personnes qui souhaitent suivre l’évolution de notre projet au Havre peuvent le faire sur le lien Facebook suivant : https://www.facebook.com/pages/Association-Le-Refuge-Le-Havre-Normandie/503404703128192
Site internet de l’association Le Refuge : www.le-refuge.org
Ligne d’urgence 24h/24 – 7j/7 : 06 31 59 69 50
Page Facebook Antenne Le Refuge Le Havre
Témoignage à l’association Le Refuge…
Pour aller plus loin…
relire l’interview sur GAYVIKING d’Alexis 20 ans, jeune Normand au Refuge – avril 2011 (cliquez ici)