(article publié le 11 novembre 2010)
Laurent est jeune médecin, il a 31 ans et homo. Il arpente les routes de la région. Dans ce témoignage, Laurent se confie sur son parcours de jeune homo, de ses études de médecine, mais aussi sur les rapports entre les médecins et l’homosexualité. Une belle rencontre…
GAYVIKING : Comment as-tu véçu la découverte de ton orientation sexuelle ? Tes études de médecine ont-elles été bénéfiques à la compréhension de tes préférences ?
Laurent : La découverte s’est faite lentement et n’a pas toujours été facile. J’ai mis du temps mais quand je regarde mon parcours, je me dis que j’ai appris beaucoup de choses et que c’est bien comme ça. J’ai toujours su que quelque chose était différent en moi, mais j’ai eu beaucoup de mal à accepter et à me dire sereinement que j’étais homosexuel.
Dans ma famille et mon entourage, il n’y avait pas d’exemple et l’image qu’on donnait des homosexuels n’était ni tolérante ni très belle. Je fantasmais sur mon prof de natation surmusclé, mais non, je n’étais pas gay, ça n’était tout simplement pas possible ( ça n’était pas écrit dans le programme de ma vie normale et parfaite!!!). A la fin de l’adolescence je me disais que j’étais bisexuel. Et puis un jour, quand j’avais 20 ans, je me suis dit qu’il fallait arrêter de se voiler la face, que les femmes ne m’intéressaient pas du tout.
Ça m’a soulagé, mais je me suis ensuite senti très isolé, comme séparé des gens que je connaissais par une sorte de barrière invisible,sans aucun gay à qui parler.
Je ne sais pas si les études m’ont aidé. Je les ai sans doute utilisées pour éviter de vivre et m’exposer à la réalité du monde pendant plusieurs années.C’est extrêmement facile de se cacher dans ses livres de médecine et dans ses cours quand on a des examens tous les mois pendant des années. En plus j’ai choisi un des cursus les plus longs! Mais c’est aussi à la fac que j’ai rencontré un groupe de véritables amis qui m’ont permis de faire des coming-outs successifs qui se sont toujours bien passés.
Il est très peu question de l’homosexualité comme objet d’étude pendant les études de médecines. On a eu un cours sur les perversions en psychiatrie, et le prof a bien fait comprendre que l’homosexualité n’était pas une pathologie psychiatrique. Sinon j’ai lu pleins de livres trouvés dans les librairies de Rouen et du Marais (Paris).
GAYVIKING : As-tu déjà été confronté à l’homophobie : dans ta vie personnelle, tes études, ton travail ?
Laurent : J’ai été confronté à un dégout de la différence dès l’école primaire. J’avais toujours plein de copines et un ou deux copains, et visiblement ça ne plaisait pas aux autres garçons. A l’époque j’en ai pas mal souffert. Au collège il y avait toujours une ou deux personnes désagréables, qui semblaient avoir un radar pour repérer les gens différents ou fragiles et les exposer au groupe. Quand j’y repense leurs propos étaient débiles, mais blessants pour un jeune qui se pose des questions. Quand on est ado on n’a pas envie d’être une « Tapette cosmique »! ( je me demande encore comment quelqu’un a pu inventer une pareille expression!!!!).
Sinon je n’ai jamais subi de violences physiques.
Au lycée je n’ai pas eu de gros soucis. L’attention était surtout fixée sur les jeunes homosexuels dont les manières étaient plus efféminées que les miennes. Curieusement je ne ressentais pas de lien avec ces personnes, j’avais surtout pas envie qu’on m’assimile à elles.
A la fac je n’ai pas eu de gros soucis. Une amie a révélé mon homosexualité sans me demander mon avis, et personne n’a eu de mauvaises réactions parmi les internes. Heureusement ça a été fait à un moment où j’étais à l’aise avec moi-même.
A l’hôpital il y a une culture assez macho, et je me souviens de blagues bien grasses sur les « pédés ». Dans les services ou en garde je ne parlais jamais de ma sexualité. Je ne faisais pas semblant d’aimer les femmes, je ne disais rien. On se transforme parfois en caméléon pour échapper aux plaisanteries débiles, ou à l’homophobie de certains membres du personnel.
Côté famille c’est un autre problème. Mes parents font un mélange de tolérance des années 70 et de vieilles valeurs d’avant les années 1950. Malheureusement leur perception de l’homosexualité est archaïque. Quand j’étais ado ma mère m’a annoncé qu’elle serait très déçue si je ramenais un homme à la maison (gloups!). Comme quoi l’ignorance sévit partout. Je suis de plus en plus serein avec ma sexualité et l’amour, et l’idée d’un coming-out est devenue plus évidente, même si je sais que ça ne sera pas facile.
GAYVIKING : Comment expliques-tu que les homos recherchent et préfèrent un médecin gay plutôt qu’hétéro ? Y’a t’il une défiance vis à vis du corps médical ?
Laurent : C’est difficile à expliquer. Il y a peut-être la peur du jugement d’autrui. Savoir que la personne en face de vous fait la même chose et ne vous jugera pas est sans doute rassurante. Les médecins sont des humains comme les autres, et ils véhiculent sans le savoir tout un tas d’idées et de références culturelles issues de leur milieu d’origine.
En tout cas je comprends que certains préfèrent avoir un médecin gay. J’aimerai bien en avoir un aussi.
Il y a quelques années, j’ai dû faire plusieurs séries de tests VIH, et j’ai inventé n’importe quoi pour ne pas dire à mon médecin traitant que j’étais gay. J’étais déjà suffisamment mal pour ne pas avoir à gérer son regard… Je ne ferais sans doute pas la même chose aujourd’hui, mais je comprend pourquoi je l’ai fait.
GAYVIKING : Penses-tu que les sujets liés à l’orientation sexuelle doivent être développés dans le cursus médical et universitaire ?
Laurent : Il y a déjà tellement de choses à apprendre pendant les études de médecine. Déjà si les gens retiennent que ce n’est pas une pathologie, on aura bien avancé. Après ça, une attitude ouverte et intelligente à l’égard de l’homosexualité, je pense que ça doit s’apprendre dans la vie de tous les jours.
Peut-être qu’il faudrait que certains médecins fassent attention à ne pas assimiler les personnes homosexuelles à la notion de « groupe à risque pour les MST« , et y coller des jugements de valeur qui sont parfois faux et déplacés.
Mais je comprend aussi que l’hôpital crée un biais dans la vision de l’homosexualité.
Les rencontres que j’ai fait avec des patients homosexuels pendant mes études ont faussé ma perception de l’homosexualité. C’est rare que des homos heureux et en bonne santé viennent se faire soigner en maladie infectieuse. A une époque mes seules références homos étaient des couples dont l’un ou les deux étaient séropositifs, avec des histoires de plans, sexe en groupe etc etc. A l’époque ça me paraissait impensable. Une fois j’ai suivi un homosexuel quadragénaire qui venait de découvrir son VIH à un stade avancé. Ça m’a profondément bouleversé, ma réaction a été « Oh mon Dieu, ça va être ça ma vie? Amant secret,socialement isolé, qui va mourir à petit feu à cause du VIH?« . Il m’a fallu du temps et rencontrer d’autres homos pour voir que ça n’était qu’un aspect de la réalité.
GAYVIKING : Changes-tu ton comportement lors d’une consultation quand tu penses que ton patient est homo ?
Laurent : Je pense que non, enfin c’est pas facile de savoir exactement comment on se comporte. Je lui fait comprendre qu’il peut me parler de tout et que je suis pas là pour juger mais pour écouter. Je pense que je fais pareil pour les hétéros.
GAYVIKING : T’arrive t’il de dire à tes patients que tu es gay ?
Laurent : Je ne le fais quasiment jamais. La relation médecin-patient est quelque chose de très complexe et il faut se méfier de ne pas la faire sortir d’un objectif thérapeutique ( avec les humains on ne sait jamais !). On n’est pas censé parler de soi, de sa vie, des ses préférences, de ses goûts.
J’ai dû parler une seule fois de mon homosexualité à un homme. C’était pour lui parler de prévention MST. Sur le moment ça m’a paru important. Après ça je me demande si certains patients gays ne se doutent pas que je le suis aussi. J’ai l’impression que certains ont un gaydar incorporé !
Dans le cas d’un jeune qui est perdu et se pose des questions sur la sexualité, je pense que j’aborderai le sujet. Mais ça dépend vraiment de chaque cas.
GAYVIKING : Les jeunes ou les moins jeunes discutent-ils facilement de leur sexualité avec le médecin ? Quelles sont les sujets abordés par tes patients sur la sexualité ?
Laurent : C’est rare que les gens parlent facilement de leur sexualité. Souvent ils gardent leurs questions importantes pour la fin de la consultation. Ce qui revient le plus souvent: les problèmes d’érections.
Souvent je pose directement la question quand je sens que c’est ce qui inquiète la personne.C’est un sujet qui ne me dérange pas. Si je ne suis pas décontracté, je ne vois pas comment un patient pourrait me parler en étant à l’aise. Des fois les patients sont surpris quand je parle d’éjaculation, de contractions anales etc etc!
Je trouve qu’il y a un vrai décalage entre l’image d’une société totalement libérée que donne les médias, et la réalité des gens: un fonctionnement des organes génitaux peu ou mal compris, des craintes issues de fausses informations, une très grande pudeur et beaucoup d’anxiété.
Je trouve que la sexualité est un sujet très important, et qu’elle doit être intégrée dans la vie et la santé des gens, et pas juste le versant prévention des MST.
GAYVIKING : As-tu déjà été confronté à une situation avec un patient où tu lui as annoncé sa séropositivité ? Comment réagir dans ce cas… ?
Laurent : Non,jamais. Je travaille en ville, et généralement c’est un médecin du Centre de Dépistage anonyme, du service hospitalier ou du laboratoire où a été fait le test qui fait l’annonce à la personne. Enfin personnellement, jusqu’à maintenant, ça ne m’est jamais arrivé.
GAYVIKING : La communication de notre société vis à vis des homos sur les MST est-elle satisfaisante aujourd’hui ?
Laurent : Je ne sais pas si la communication est satisfaisante, est-ce qu’elle le sera un jour totalement? C’est déjà bien qu’il y ait quelque chose. Évidemment dans un monde parfait, on pourrait toujours faire plus, et il y aurait plus d’argent et de moyens accordés aux associations et aux campagnes de prévention.
Je vais aussi retourner la question! Est-ce que l’écoute des homos vis-à-vis de la prévention des MST est satisfaisante?
Je crois qu’il y a toujours du travail à faire des deux côtés.C’est très important de ne pas baisser les bras. Je me dis toujours que si un jeune ( ou un moins jeune) se protège grâce à un message de prévention qu’il a vu ou entendu, ça sera déjà ça de gagné.
Il y a malheureusement tout un courant actuel chez les homos qui fait l’apologie du sexe sans capotes, avec des films bareback de plus en plus nombreux. Il y a aussi une réticence à utiliser le préservatif pour certaines pratiques à risque comme la fellation. Ça n’est pas facile non plus d’imposer à l’autre le port d’une capote, surtout quand on n’est pas super sûr de soi ou rendu complètement débile par le désir…
Et puis il suffit de comparer la prévention des mst et la prévention d’autres maladies comme l’addiction au tabac, à l’alcool, le diabète, etc etc… C’est globalement pas très différent. Les humains ont dû mal à intégrer les risques quand le danger n’est pas immdédiat et inquiétant. On est tous pareils : il y a même des médecins qui fument, et d’autres qui stressent parce qu’ils n’ont pas mis de capote en faisant un fellation à quelqu’un qu’ils ne connaissaient en fait pas vraiment…!.
GAYVIKING : Que penses-tu de l’interdiction du don du sang pour les homosexuels hommes ?
Laurent : Je me souviens que ça m’avait surpris quand une amie me l’a appris il y a quelques années. Un peu comme si symboliquement la personne homosexuelle était par nature tellement souillée qu’on ne pouvait même pas envisager d’utiliser son sang.
Après je comprends que les autorités aient adopté ces règles à une époque où les tests n’étaient pas forcément aussi faciles qu’aujourd’hui. Mais actuellement je trouve qu’une révision est nécessaire, que ce soit pour la défense de l’intégration des personnes homosexuelles dans la société, que pour la prise en charge de gens qui ont besoin de transfusions ou autres produits dérivés du sang. Pourquoi une personne en bonne santé, intelligente et altruiste, se verrait refuser d’emblée le don d’un sang dont on a tellement besoin.
A vrai dire ça n’est pas un problème qui m’a particulièrement bouleversé. Parfois je ne suis pas très politiquement correct… je me dis que si la société ne veut pas de sang homo, et bien tant pis pour elle… surtout quand on sait que les établissements qui fournissent le sang sont souvent confrontées à des périodes de manque.
GAYVIKING : Un dernier mot ?
Laurent : Soyez heureux, la vie est courte, amusez-vous mais sortez couverts. Prenez soin de vous et consacrez du temps aux choses qui vous sont importantes.
Pour aller plus loin…
Voir le site de l’association de médecin gay-friendly avec un annuaire de médecins qui s’intéressent aux questions de santé LGBT
Laurent a également participé à des fiches « santé » pour GAYVIKING… expliquer dans un langage clair les petits maux de la vie quotidienne. (voir la rubrique sur GAYVIKING ICI)
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