J‘ai rencontré François à l’université de Rouen en 1997. Un très gentil garçon plein d’énergie et de joie de vivre. Au début, et comme beaucoup d’autres étudiants, je pensais qu’il était gay comme moi. Mais à ma grande surprise, j’ai découvert qu’il ne l’était pas. Moi aussi je me suis fait avoir par les clichés du monde gay…
Dans la marmite quand il était petit
François Alleaume, 26 ans (à l’époque), était correspondant pour un magazine d’architecture. Il était également responsable d’une galerie d’art près de Rouen.
Ce jeune homme est tombé dans la marmite homo quand il était petit. François a beaucoup vécu dans le milieu gay. Il a participé aux débuts de la Radio FG, connu les prémices de la techno. Les boîtes gay n’avaient pas de mystères pour lui (sauf le Queen étrangement, contrairement à moi).
Conversations
En 1998 ou 1999, je n’ai pas noté très précisément la date, j’ai commencé à m’exercer au journalisme en publier sur un blog des articles et des portraits de la vie LGBT locale.
La vision de François sur notre monde, mon monde, a fait l’objet de nombreuses discussions entre nous. François était une cible toute choisie pour une interview. Une conversation pleine de tendresses et de bon sens que je publie de nouveau sur notre webmagazine Gaynormandie.
Quand as-tu découvert le monde gay ?
François : Vers 13 – 14 ans, par hasard, en rencontrant un couple d’amis de ma tante. J’ai senti une certaine proximité. A cette époque j’ai pu mettre un visage, un caractère sur l’homosexualité.
Comment s’est passé ton parcours au sein des homos ?
Au début, ça s’est fait avec un copain de collège, Jean-Baptiste, à la radio FG (fréquence gaie) Mais ce n’est que plus tard que j’ai appris qu’il était homo. Cela m’a permis de connaître le GAGE (un groupe d’étudiants homos).
A radio FG en 1991, je faisais une chronique musicale sur les groupes indépendants français. Je m’occupais aussi un peu de la technique pour dépanner. Tout ceci ma permis de connaître une certaine ambiance.
J’ai vécu dans un espace minoritaire
Quel genre d’ambiance ?
La radio est un lieu de passage. On fait des émissions. On était assez libre. La programmation n’était pas encore Techno… mais très hétéroclite. J’ai appris à connaître une grande diversité dans la façon d’être. J’ai beaucoup appris et vécu dans un espace où j’étais minoritaire. On ne m’a jamais dit « Qu’est-ce que tu fais là ? ». J’ai beaucoup apprécié cet accueil.
Tu fréquentes beaucoup de lieux gays…
Il est vrai que je sors dans beaucoup d’endroits gays. Mais je sortais simplement pour m’amuser. Il me faut de la bonne Techno et le rapport techno-gay existe dans de tels endroits et pas ailleurs. Le reste ne m’intéresse pas.
Pendant un moment de ta vie tu as été entouré exclusivement d’homos…
C’était un hasard. Je suis très proche de mes amis et il y avait finalement très peu de différences. Le désir, l’amour : en soi les sentiments sont les mêmes. De plus, j’apprécie une certaine folie que je recherchais.
Je n’aime pas les barrières
Cette « folie » n’existait pas ailleurs ?
En quelque sorte oui. Même si je n’aime pas parler en terme de groupe. Il y a tout un esprit. Une volonté de ma part de me divertir. J’avais la chance de sortir avec des gens pour aller au théâtre, au cinéma, en boîte ; les choses ne sont pas séparées. Je n’aime pas les barrières.
Tu es très imprégné de la gay culture ?
Oui et non. Oui parce que culturellement je tombais, sans le faire exprès, sur des artistes Gays. J’étais aspiré par un monde que je ne connaissais pas. il est exact que j’intègre des codes vestimentaires parfois, des façons d’être. Cela m’a d’ailleurs posé des problèmes. Ce qui me touche beaucoup, ce n’est pas l’homosexualité chez les artistes, cela importe peu. Ce qui m’attire c’est la création. Cette création va au-delà de tout ça. Non, parce qu’il y a des mythes que je n’intègre pas. Je ne suis pas très sensible à cela. Je n’ai pas été voir » Prescilla » d’ailleurs.
La grande richesse du monde gay
Qu’est-ce que tu reproches ou rejette chez les hétéros ?
C’est le conformisme. Intégrer son prochain dans un moule et le refus de la différence. C’est cela qui m’a rapproché du monde gay. Dans les années 70, un cheval de bataille du monde gay, c’était la différence. Chez les hétéros, il y a ce manque de différence. Je me sens toujours senti différent. D’un autre côté, c’est un attrape-nigaud car chacun est différent. C’est une illusion pour le monde gay de dire le droit à la différence. Je n’arrive pas à m’intégrer dans un groupe. C’est une phobie chez moi.
Et pourtant le monde gay… ?
Non, car je me sens différent même s’il y a beaucoup de ressemblances entre les individus. Les différences amènent la confrontation. Cela ne fait qu’augmenter les clichés sur chacun : fêtards, abondance sexuelle… Il n’y a pas que ça. Il y a une grande richesse dans le monde gay.
Qu’est-ce-que tu reproches au milieu homosexuel ?
Je répondrais à ta question en disant que je suis revenu à ce que je recherchais… ma recherche sur ma différence. Ce qui est dommage, c’est l’absence d’échanges entre les deux mondes. Mais en même temps je comprends cela : il y a une volonté de vivre dans une société isolée de toute agressivité.
Le milieu crée de l’exclusion
C’est pas un peu idéaliste de dire ça ?
Oui je sais. Il y a comme une sorte de ghettoïsation. Un hétéro ne va pas aller dans un bar gay parce qu’il est gay. Il ne s’intéressera pas à la déco ou à la musique de ce bar. Je trouve cela regrettable.
Il y a une lacune du système
Tu t’es déjà fait draguer par des mecs ? Ne dis pas non, je ne te croirais pas.
Oui oui oui. Ce qui est difficile, c’est de dire non car rien n’est possible. Je n’ai jamais désiré un homme et ce n’est pas mon truc. Et c’est difficile de le dire parce que cela crée une barrière. De plus, déclarer ses sentiments à un autre c’est toujours touchant. Par conséquent ma situation est très délicate… car mon refus est nuancé. Ce n’est pas une négation de l’autre mais une impossibilité.
Je suppose que tu approuves pleinement les revendications actuelles du milieu gay, sur le PACS notamment ?
Parfois, j’ai l’impression qu’il y a une course à intégrer des systèmes de valeurs que moi je n’intègre pas : mariage, famille. Cela peut paraître dommage mais en soi, j’ai toujours trouvé injuste et dégueulasse que l’union homo ne soit pas reconnue. C’est un refus de reconnaître leur existence. Ces droits doivent être basés sur les valeurs républicaines. Il y a une lacune du système. Il faut y remédier.
Pour finir, tu aurais une chose à ajouter ?
Cette interview n’aurait pas dû exister. Car il ne devrait pas y avoir de différences. Mais je l’ai acceptée car cela permet de créer des liens, un échange avec les autres.
(Cette interview a été publiée une première fois en 1999 sur un blog par Fred puis re-publiée à l’apparition du webmagazine Gaynormandie le 1er mars 2002).